L’histoire avait débuté il y a presque quatre ans. Celle d’une rencontre et d’une collaboration amicale entre Mark Hamilton (Woodpigeon) et Kathryn Calder (The New Pornographers). Trop belle pour s’interrompre, elle se poursuit donc aujourd’hui avec un second album en commun, Parade qui prolonge les plaisirs simples et évidents que suscitent des chansons où les mélodies et les gimmicks pop de l’une s’accordent à merveille avec les tonalités plus mélancoliques de l’autre.
Parade a-t-il été conçu plutôt en réaction au premier album ou dans la continuité ?
Mark Hamilton : Je me suis simplement réjoui d’avoir l’occasion de travailler de nouveau avec une amie très chère. Le contexte dans lequel nous avons enregistré l’album était un peu différent puisque le premier avait été enregistré dans un musée rempli d’instruments alors que, pour le second, nous avons travaillé en studio, près de l’océan.
Kathryn Calder : J’ai l’impression, pour ma part, que c’est plutôt une extension du premier album. J’ai déjà eu l’occasion d’enregistrer des albums en réaction négative au précédent. Ce n’était pas le cas cette fois-ci. Il n’y avait pas la moindre trace d’insatisfaction ou d’aigreur quand nous avons commencé à écrire ces nouvelles chansons. Juste l’envie de prolonger le plaisir de travailler ensemble.
MH : La plupart du temps, nous nous contentons de réagir aux ébauches de chansons que nous nous échangeons entre nous. Mais, en dehors de cela, il n’y avait pas vraiment d’intention très marquée et préalablement définie.
Comment avez-vous organisé votre travail à distance alors que vous habitez très loin l’un de l’autre ?
KC : Nous avons réussi à enregistrer la quasi-intégralité de l’album avant les confinements successifs. Nous avions donc encore la possibilité de nous rencontrer de temps en temps et, surtout, de passer quelques jours ensemble en studio. Nous avions préalablement préparé quelques brouillons, des démos.
MH : L’album aurait été très différent si nous ne l’avions pas terminé avant le printemps 2020, c’est sûr. Mais, même pendant la pandémie, nous avons quand même réussi à nous retrouver deux ou trois fois. J’habite à Montréal où les taux de contamination sont rapidement devenus très élevés. Je me suis réfugié chez Kathryn, pas très loin de là où j’ai grandi, sur l’île de Vancouver. C’était rassurant de se retrouver loin de la ville, dans un endroit où il n’y avait encore que quelques dizaines de cas de COVID alors qu’il y en avait plusieurs milliers tous les jours à Montréal. Ceci dit, nous continuons à faire de la musique ensemble en ce moment, alors que Kathryn est aux États-Unis et cela se passe toujours de façon très fluide et très simple. Mais c’est tellement amusant de se retrouver ensemble en studio ! C’est ça notre méthode, en fait : s’amuser ensemble, le plus possible.
Il m’avait semblé que le premier album était un peu plus mélancolique alors que, dès le début du second, la chanson éponyme, Parade, donne un ton beaucoup plus enjoué à l’ensemble. Est-ce qu’elle s’est imposée de façon évidente comme un morceau d’ouverture ?
MH : Pour ce qui me concerne, oui, incontestablement. En tous cas, tu as raison, on ne pourrait pas imaginer deux chansons plus différentes que U.O.I. qui ouvrait le premier album et Parade. U.O.I est une des chansons les plus tragiques et les plus difficiles que je n’ai jamais eu à interpréter. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’un peu plus exubérant et de plus étincelant qui imprègne ce second album. Ça tient beaucoup aux parties de claviers jouées par Kathryn.
KC : Quand j’aime bien quelque chose, ça tourne un peu à l’obsession, c’est vrai ! C’est le cas avec le clavinet, le clavier de Stevie Wonder. J’adore ce son et, à chaque fois que nous réfléchissions à ce que nous pourrions ajouter à un arrangement, je rajoutais une dose de clavinet. (Rires) Ça a fini par déteindre aussi sur d’autres parties de synthétiseurs et c’est sans doute ce qui confère ce côté scintillant aux chansons. Mark est beaucoup plus inventif de ce point de vue. Il est capable de te proposer de mettre un kleenex sous les cordes d’une guitare pour voir comment elle sonne. Moi, quand j’ai mon jouet préféré, j’ai tendance à ne plus pouvoir m’en séparer.
Plusieurs chansons de l’album, comme Ostalgie ou Reach Out, sont en partie composées de séquences instrumentales et synthétiques assez longues. Comment ces développements sont-ils apparus ?
KC : C’est difficile à décrire précisément. Pour Reach Out, il s’agit d’un titre qui n’avait quasiment pas de structure au départ. Quand j’ai envoyé la démo à Mark, je pensais que ce serait un problème et qu’il faudrait trouver un moyen de l’organiser davantage, de manière plus classique. C’est lui qui m’a convaincue qu’il serait préférable de nous en tenir à la proposition initiale et de laisser la chanson s’étirer avant de disparaître. Nous avons improvisé avec les autres membres du groupe et nous avons conservé ce passage instrumental qui nous plaisait. Pour Ostalgie, c’est Mark qui a suggéré cette idée de séquence, au milieu du morceau, qui ressemble à des pleurs ou des gémissements. Je me souviens qu’il est arrivé en studio avec un morceau de Kate Bush pour nous suggérer plus clairement ce qu’il avait en tête. J’ai trouvé ça cool et on a essayé de donner corps à son idée.
MH : Je ne sais pas si c’était totalement intentionnel au départ mais, en effet, j’ai eu envie à plusieurs reprises d’essayer d’aller au-delà de la décision initiale que nous avions prise, quand nous considérions une chanson comme achevée. Je me suis dit : « OK, le morceau a l’air d’être terminé mais qu’est-ce qui pourrait bien se passer si nous continuions quand même ? « C’est ce qui a donné quelques-unes de ces codas instrumentales, alors que le chant a disparu. Et, rétrospectivement, je suis très content que nous ayons insisté. Quand je réécoute Reach Out, je n’arrive pas vraiment à savoir si elle dure deux minutes ou dix-sept et j’adore ça ! (Rires.)
J’ai été également frappé par la diversité des éléments rythmiques sur cet album, parfois dans une même chanson.
MH : Je crois que cela tient à certaines des compositions proposées par Kathryn et qui m’ont inspiré des arrangements rythmiques très différents. C’est le cas pour I Fall Out, notamment qui est assez complexe sur le plan rythmique. C’est aussi dû au fait que, pour la première fois, j’ai travaillé sur les démos de mes chansons avec une boîte à rythmes. Et puis notre batteuse, Melissa McWilliams, s’est beaucoup amusé ensuite.
KC : Oui, il y avait une énergie très ludique dans ces sessions en studio, en particulier quand nous travaillions sur ces parties rythmiques. Colin Stewart, mon mari qui a également produit l’album, m’a souvent répété : si quelque chose vous fait rire, c’est bon signe et vous devriez le garder. Nous avons donc profité de la présence de Mélissa sur place pour rajouter pas mal de percussions ou de claquements de mains. Davantage que sur le premier album en tous cas. Nous avons quand-même fini par retirer les plus gênants mais nous en avons conservé pas mal ! (Rires)
MH : J’avais envie d’éviter au maximum les rythmes exclusivement binaires ou les mesures 4/4 un peu stéréotypées. Au final, je crois qu’il n’en reste quasiment aucune. C’est sans doute pour cette raison que Mélissa nous a dit que c’était l’album le plus amusant sur lequel elle ait jamais joué.
Vous avez tous les deux étés impliqués dans de nombreux projets musicaux, collectifs ou en solo. En comparaison, qu’est ce qui fait, à vos yeux, la spécificité de Frontperson ?
KC : Pour ce qui me concerne, c’est sans doute lié à l’âge et à l’expérience. Nous avons tous les deux la même approche : nous avons envie de nous amuser et d’entretenir cette collaboration sans conflit et sans enjeu d’ego. Il m’envoie des brouillons et je les apprécie. Je lui envoie les miens et il a l’air de les trouver intéressants. C’est beaucoup moins stressant que tout ce que j’ai pu vivre auparavant et je n’ai plus du tout envie de me retrouver dans un environnement tendu où il faut faire preuve de diplomatie. Je préfère encourager les gens et ne pas leur faire de mal en critiquant leur travail. Mais j’ai aussi une conception assez arrêtée de ce que j’apprécie ou pas sur le plan musical et je n’ai aucune envie de passer trop de temps à négocier la moindre note d’une chanson. Avec Mark, ça tombe bien, je n’ai rien à négocier et nous pouvons nous consacrer pleinement à la musique. Nous continuons tous les deux à participer à d’autres projets et, avec lui, je n’ai jamais ressenti la moindre trace de jalousie ou la moindre exigence d’exclusivité. J’ai déjà vécu ce genre d’expérience, plus jeune, ou des membres d’un groupe deviennent possessifs et exigent qu’on leur consacre tout son temps et toute son énergie. Je n’ai plus envie de travailler dans ce genre d’environnement.
MH : Très bonne réponse ! (Rires) Je suis d’accord : je ne me suis jamais autant amusé en studio qu’avec Frontperson. C’est aussi une question de courage et de soutien, pour ce qui me concerne. Il y a des chansons que je ne suis pas sûr que j’aurais osé interpréter – U.O.I. ou Tattoo Boy notamment – si je n’avais pas eu mon amie à mes côtés pour m’en donner la force.