Depuis que des copies ont commencé à circuler, on dit déjà un peu tout et n’importe quoi sur Lords Of Chaos, adaptation cinématographique du livre culte et déjà controversé en son temps de Michael Moynihan et Didrik Søderlind sur la genèse et les faits divers qui ont instauré une mystique autour du Black Metal norvégien. Financé par Vice, qui n’en sont pas à leur première tentative d’appropriation culturelle, et réalisé par Jonas Åkerlund, ex Bathory – groupe à l’influence majeure sur nos petits camarades ; clippeur reconnu et parfois sulfureux (sic) pour Madonna, U2, Metallica, Lady Gaga, Rammstein et The Prodigy (Smack My Bitch Up, c’est lui), le film vaut pourtant plus que les critiques apocalyptiques qu’il génère au sein des cénacles concernés.
Suicide fondateur, concours de bite autour de la profanation et de la destruction par le feu, concours de bite sur qui est le plus influent et le plus badass, puis finalement petit meurtre entre faux amis. Si vous ne connaissez pas l’histoire sur le bout des doigts, vous pourrez passer un moment amusant, j’en conviens. Car en gage de thèse sur l’ennui, on est en présence non pas du Malin, mais presque d’un teen movie assez gore et souvent déceptif. L’évocation de la genèse de Mayhem, au-delà de la folie dépressive de son premier chanteur, le bien nommé Dead, donne un beau paysage nordique de l’oisiveté mère de tous les vices en milieu rural et les poses destroy devenues mythiques autour d’un arrêt de bus saccagé rappellent les premières images du groupe suisse Hellhammer (futur Celtic Frost) quelques années auparavant dans la campagne zurichoise. Toutes ces images, dont la majorité sont en noir et blanc, semblent s’animer sous nos yeux, en couleurs bien étudiées et ce n’est pas forcement désagréable, juste un peu ennuyeux pour qui les connaît déjà.
Le sujet, dépassant presque la frustration, incubateur fondamental de musiques passionnantes (et nonobstant toutes les controverses les premiers disques de Mayhem, Burzum ou DarkThrone sont devenus, à raison, des classiques) c’est bien sur la rivalité entre Varg Vikernes de Burzum, toujours président de la ligue du lol norvégienne malgré ses 14 ans à l’ombre et Euronymous, gourou auto-proclamé d’une scène naissante dont le magasin qu’il gérait à Oslo (Helvete, l’enfer en norvégien, pas les habitants de la confédération helvétique) était la plaque tournante. Il y a bien donc deux buddy movie dans celui-ci. Le premier raconte son amitié inquiète avec Dead, l’autre sa rivalité intéressée avec Varg. Et là, c’est plutôt touchant, bien que le choix de l’acteur Rory Culkin (le jeune frère de Macauley, d’où mon titre un peu nul) puisse parfois prêter à des estouffades de rire. Car l’on rit beaucoup sous cape, pendant Lords Of Chaos, même si dans les deux cas, ça finit très mal.
Il y a aussi un certain nombre de private jokes souvent navrantes dans la vision de ces post-ados qui passent le plus clair de leur temps à se bourrer la caisse en matant Evil Dead. Il y a notamment une blague assez finaude sur Scorpions (groupe qui contrairement à Venom ou Motörhead, ne fait pas partie du panthéon de nos héros). Alors sans vouloir vous spoiler ce gag récurrent, laissez-moi plutôt vous raconter cette petite histoire qui m’est arrivée au milieu des années 90.
L’heure était grave, j’allais interviewer les Melvins, un de mes groupes favoris de tous les temps. Seulement voilà, un de leur meilleurs potes (un certain Kurdt) venait de se faire lui aussi sauter le caisson, et malgré les recommandations de la maison de disques, je me doutais bien qu’ils faudrait trouver d’autres sujets de conversation. Après une audience avec King Buzzo (impeccable de cynisme bienveillant), j’étais bien plus détendu avant de passer le foudroyant Dale Crover (meilleur batteur au monde juste après John Bonham, Elvin Jones et Jaki Libezeit) à la question, or j’avais mon angle : lui demander de but en blanc quel avait été LE disque qui avait tout changé pour lui, celui qui avait décidé de sa vocation. Et ne voilà pas que l’affable Dale me retourne à son tour la question. Je choisis donc d’évoquer Kill’Em All de Metallica, et j’ajoutais qu’une fois cette révolution digérée, passant de WASP à Funhouse des Stooges en l’espace de six petits mois, il m’était désormais impossible d’écouter Scorpions, Ratt ou Mötley Crüe sans pouffer. S’ensuivit alors une belle discussion sur les disques qui nous faisaient en découvrir d’autres, sur la notion de bon et de mauvais goût, et qu’au final (enfin c’était à l’époque, son point de vue, je n’avais pas encore racheté Shout At The Devil en brocante), on reste toujours un peu fan de ce qu’on a aimé à un moment. Celui que je prenais pour une brute épaisse était en fait un puits de sagesse, peu avare de son temps – les Melvins donnèrent un éclatant concert en trois parties distinctes quelques minutes après – que je quittais à regret et qui à ce moment précis, me tapota l’épaule en ajoutant d’un air complice :
— Though, you know, man… There’s nothing wrong with Scorpions !
(silence embarrassé)
En complément de programme, et toujours dans cette thématique chants et danses folkloriques de l’Eürope du nörd, le FAME 2019 proposera également pour sa soirée de clôture, Heavy Trip de Juuso Laatio et Jukka Vidgren où les aventures rocambolesques d’un groupe de Metal finlandais qui fera des pieds et des mains pour jouer dans un énorme festival en Norvège. On jugera donc sur pièce si cela tient de la blague potache ou du chef d’œuvre Kaurismakien annoncé.