Bien évidemment, avec cet interview définitivement trop tardive (l’album est sorti fin 2018, ndlr), on a un peu l’impression de perpétuer le flambeau éternel de défense des beautiful losers, cette pratique séculaire française qui a fait de notre pays la terre d’accueil de nombre de parias plus ou moins fréquentables de la scène internationale, pour le pire parfois (les affreux Archive…), pour le meilleur aussi, des magnifiques Apartments du grand Peter Milton Walsh ou jadis du complètement cramé Johnny Thunders. La France aime les perdants. Eugene McGuinness ne jouit pas encore d’un tel statut mais en a, hélas pour lui, tous les atouts.
L’ex-petit prince de la pop anglaise, abandonné par son label, est donc revenu à la case départ, l’autoproduction, après un début de carrière qui n’annonçait pourtant pas telle dégringolade. Après des débuts magnifiques (l’inépuisable premier LP éponyme de 2008), le garçon a souvent brouillé les pistes et surtout, sur la forme, délaissé sa pop acoustique de haute volée pour sortir deux albums (Chroma et The Invitation To The Voyage, en 2012 et 2014) où il faisait toujours preuve d’un songwriting hors-pair mais où l’on sentait la pression qui devait lui être portée pour le faire coller aux sonorités de son époque, à grand renfort de guitares rock et de refrains plus fédérateurs. Les deux disques, pourtant hautement recommandables, ont ravi le cercle de fans mais n’ont malheureusement pas conquis le public des Arctic Monkeys et autres locomotives auxquelles l’on aurait pu associer McGuinness. Débarqué donc de son label, le londonien a, en catimini, sorti en fin d’année dernière, avec les moyens du bord, un beau disque intimiste qui aurait mérité plus d’attention.
Sur la forme, Suburban Gothic montre certes un certain amateurisme inhérent aux moyens de production surement limités qui ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions affichées. Sur le fond, les chansons présentées sont peut-être parmi les plus belles composées par leur auteur. Hope in Hell, le titre d’ouverture, rappelle immédiatement tout ce qu’on aime chez McGuinness ; cette aisance mélodique et cette facilité à combiner un lyrisme suranné et une certaine hargne working class. Plus loin, Start At The Stop et sa mélodie en escalier est une pop song parfaite, accrocheuse et irrésistible. Ailleurs, l’anglais s’offre une comptine 50’s que Roy Orbison n’aurait pas reniée (Goodnight), s’essaye avec succès à la romance vacharde (Treat Me) et délivre avec High Rise et sa mélancolie douce-amère, une balade Lennonienne grisante. Le disque n’a malheureusement pas joui d’une sortie en format physique tel qu’il aurait mérité, mais seules les chansons comptent, et celles-ci sont magnifiques, c’est bien tout ce qui compte.
Quatre années se sont écoulées depuis ton dernier disque (Chroma en 2014), ce qui semble être ton rythme pour enregistrer tes albums.
Eugene McGuinness : « Quatre années, c’est effectivement trop long, mais après Chroma, j’ai arrêté la musique pendant quelques temps. J’ai travaillé sur des chantiers à faire de la décoration et de la peinture sans intention de revenir à la musique. Sans vouloir paraître mélodramatique, cela m’a fait beaucoup de bien de faire quelque chose de complètement différent. L’enregistrement de ce nouvel album s’est même fait un peu à contre cœur. Au bout d’un moment, j’avais toutes ces petites chansons qui me venaient presque malgré moi et qu’il fallait que je sorte. À dire vrai, je me suis toujours senti très peu à l’aise dans le monde de la musique et j’en connais maintenant un bout sur la façon de gaspiller son talent, mais l’écriture de chansons, c’est définitivement mon truc. »
Lorsque tu as sorti Chroma, tu défendais le son plus dur de tes nouvelles chansons comme plus personnel. Surbuban Gothic se caractérise par un son plus doux, plus chaud et moins vindicatif. Était-ce prémédité ou était-ce simplement ton état d’esprit au moment de l’enregistrement?
« Suburban Gothic a effectivement un son beaucoup plus doux que tout ce que j’ai fait jusque-là, mais aussi probablement les thèmes les plus sombres. J’ai déjà fait des disques pop et du rock et je dois reconnaître avoir parfois essayer d’être quelque chose ou quelqu’un que je n’étais pas. Tout ce que je peux dire est que ce disque a été créé alors que je vivais une existence calme faite d’allers-retours entre Londres et mon domicile, mangeant, dormant et essayant de garder la tête au-dessus de l’eau. »
Comment s’est déroulé l’enregistrement?
« Ant Whiting a produit l’ensemble des chansons. C’est également lui qui avait produit mon premier album. C’était vraiment génial de retravailler avec lui après dix ans. Tout s’est fait très rapidement. Nous avons fait une chanson par jour, parfois deux. Tout a été fait très instinctivement. Mon frère Dominic joue également du piano sur deux chansons que nous avons écrites ensemble (Start At The Top et With Words). Il sortira d’ailleurs bientôt son propre disque très bientôt et c’est très spécial. »
Tes paroles sont sombres et assez négatives mais les mélodies enjouées et douces. Je pense notamment à la chanson Car At The Airport qui fait parler à la première personne un terroriste.
« Ce n’est vraiment pas prémédité. Tout ce que je peux te dire, c’est que les mots et les mélodies me hantent constamment. Je n’y réfléchis pas vraiment, je sais rarement d’où viennent mes chansons. »
La chanson Start At The Top est peut-être la chanson la plus accrocheuse que tu aies écrite. Ma fille de 7 ans en est folle.
« Mon frère Dominic m’a aidé à terminer cette chanson qui sonne pour moi un peu comme du Frankie Valli. Je me rends d’ailleurs compte des références aux métros et trains de banlieue londonien dans cette chanson. Je passe tellement de temps dans ces tunnels que ça en devient vraiment obsédant. Pour revenir à cette chanson, je ne suis pas tellement du genre à me lancer des fleurs. La plupart du temps, je me dis que ma musique n’est pas très bonne, mais quand les gens me disent que Start At The Top est une chanson géniale, je me dis quand même : ouais, je sais.«
Tes refrains sonnent souvent lyriques et imprégnés de romantisme. Sans citer de nouveau l’influence des Smiths et de Morrissey que tu as souvent citée, tes mélodies sonnent très 50’s, je pense notamment à la très belle chanson Goodnight qui n’est pas sans rappeler les envolées à la Roy Orbison.
« Complètement. Je pense particulièrement à cette chanson de Roy Orbison intitulée Evergreen qui est l’une des chansons préférées de Neil Young. Goodnight, et une bonne partie de l’album, a également très influencé par l’album Chet Baker Sings que j’écoutais beaucoup. Je pourrais aussi citer cette chanson de Johnny Mercer, Laura, interprétée par Ella Fitzgerald ou encore Can You Be True d’Elvis Costello. Des choses très romantiques. Des tas de choses que j’aime bien sont sûrement très démodées. Pour revenir aux Smiths, Johnny Marr est évidemment mon héros, le héros ! C’est mon guitariste préféré. Toutes les chansons des Smiths sont des chefs d’œuvre. Je ne le cite pas assez souvent parce que je ne me sens pas vraiment guitariste. En fait, je déteste jouer de la guitare. Néanmoins, d’après ce que j’ai entendu, Johnny est fan de ma musique. Je te laisse imaginer le bonheur que ça peut me faire. »
Ton chant est de plus en plus maîtrisé ? Travailles-tu particulièrement ta voix ?
« Pas du tout, j’ai déjà fait des tournées avec ce genre de personnes qui passent leur temps à faire ces exercices vocaux étranges tous les jours. Ce n’est vraiment pas mon truc. En fait, je ne chante que très rarement. Des semaines peuvent passer sans que je pratique. Chanter, c’est se mettre à nu et personne n’aime vraiment se mettre à nu devant les autres. »
J’ai souvenir de ton concert à Paris en 2008 pour promouvoir la sortie de ton album éponyme. J’avais été impressionné par ta performance, seul avec ta guitare, la confiance et la maîtrise que tu affichais pour un gars de 19 ans à l’époque?
« Vraiment ? Je me sentais complètement paralysé de trac lors de ces concerts. Si c’est apparu comme de l’assurance, c’est un miracle. Je ne suis toujours pas à l’aise pour jouer en concert mais je dois reconnaitre qu’il se passe toujours quelque chose de bouillant en moi. »
Tu n’a fait quasiment aucune promotion pour cet album qui n’a été publié qu’en version numérique.
« Pour dire vrai, je ne suis pas certain qu’il y ait tant de gens qui aiment ce que je fais. Je suis reconnaissant à la communauté de fans que me suivent. Suburban Gothic a été fait pour eux. Toutefois, pour l’instant, je me plais à rester invisible. Si les gens demandent à ce que cet album soit édité en vinyle, je le ferai avec plaisir. Personnellement, j’en ai un peu fini avec ces chansons et je suis content que les gens puissent les écouter même je suis déjà passé à autre chose. D’ailleurs, un autre album a déjà été enregistré (Suburban Gothic 2 – Beyond The Neon). Je ne sais pas si ça intéressera grand monde, mais il est dans les cartons. »