La fin de l’année approche et avec elle le temps des inventaires. À la manière de Nick Hornby, je commence à dresser des listes : meilleurs albums, meilleurs singles, meilleurs concerts. Au sommet de cette dernière catégorie s’était déjà hissée une certaine soirée de printemps lors d’un préalable état des lieux semestriel. À l’orée du mois d’octobre, sa position reste inchangée : le 16 mai dernier au Point Éphémère à Paris se produisait Drugdealer, et je n’ai pas vécu de meilleur concert depuis.
Plus qu’un groupe, Drugdealer est un collectif de musiciens emmené par Michael Collins, figure moustachue de la scène pop psychédélique de Los Angeles. Sur scène ce jour-là, je reconnais à la guitare Benjamin Schwab, moitié de Golden Daze dont le second album — d’une finesse mélodique comparable à l’Atlas de Real Estate — était injustement passé sous le radar en début d’année. Cette fois-ci, sans surprise, pas de Natalie Mering a.k.a. Weyes Blood, fréquente collaboratrice qui avait rejoint la troupe sur scène le temps de quelques chansons lors de leur dernier passage à Paris. En lieu et place, le singulier Sasha Desree — avec lequel Collins avait formé le duo Silk Rhodes, à l’origine d’un album aux inspirations soul en 2014 —, parfois accompagné de Ben Schwab pour des harmonies vocales hors du temps. En évoquant Simon & Garfunkel ou les Beatles, Drugdealer se fait miroir du passé mais, comme Foxygen ou The Lemon Twigs, assume l’évidence, et avec peut-être davantage de simplicité. Loin des paillettes et des artifices, Collins surprend sur scène par son humilité, où il ne cherche qu’à mettre en valeur ses musiciens qu’il regarde évoluer, assis derrière son clavier. Originaire de Baltimore, vierge de toute éducation musicale, il débute ses expérimentations sonores en 2009 après avoir traversé les États-Unis façon beatnik, sur des trains de marchandises. Sous les alias Run DMT puis Salvia Plath, il compose ses premiers albums, dont l’odyssée byrdsienne The Bardo Story, première démonstration de son talent de mélodiste. En 2013, il met le cap à l’Ouest et débarque à Los Angeles dont il intègre la scène underground. Il y rencontre Ariel Pink, travaille avec l’entourage musical de l’icône californienne et révèle en 2016 The End of Comedy, un premier album inspiré de la musique du quartier de Laurel Canyon dans les années 1970.
Trois ans plus tard, il revient avec Raw Honey : un enchaînement de neuf titres au groove imparable, à renfort de cuivres et de saxophones. La soul n’est jamais loin, et Natalie Mering non plus : l’étoile de l’année est de retour sur Fools, tube absolu de cet album feel good. Car à l’instar du Titanic Rising de Weyes Blood, Raw Honey se prêterait presque à la comédie musicale par son côté théâtral qui laisse, en fin d’écoute, un sourire béat aux lèvres. À sa sortie, anticipant sans doute les reproches liés à ce passéisme non dissimulé, Collins s’était dédouané auprès de la presse en l’introduisant ainsi : « À une époque où l’accès à l’information est quasi universel et où afficher ses influences s’est normalisé, on a souvent l’impression que tout a déjà été fait. Cela soulève quelques questions : Pourquoi créer ? Le monde a-t-il besoin d’une énième nature morte ? D’un énième film d’amour ? D’une énième mélodie ? » Pour les amoureux de jolies mélodies, et tous ceux qui ont vu l’homme à l’œuvre sur scène, au Point Éphémère ce soir-là ou ailleurs sans doute, la réponse est « oui », évidemment.