Il aura fallu attendre vingt-cinq ans de carrière pour en arriver là. Avec Low, le couple Alan Sparhawk et Mimi Parker ont posé les bases d’un genre à eux, comme une évocation lente et triste d’une intensité sans pareil. Double Negative (PIAS), leur nouvel album, est pourtant le plus radical de tous, comme s’ils avaient débarrassé d’un brutal revers de main sur la table la méthode qu’ils avaient créée. Avec leur producteur BJ Burton (Bon Iver, Lizzo, et Francis and the Lights), ils ont concentré leur propos à l’os, dans leur forme la plus brute, la plus nue, la plus puissante. J’ai découvert Low il y a 14 ans, alors que le groupe avait déjà quelques-uns de leurs plus beaux albums derrière eux, au détour d’un documentaire bouleversant, de ceux que l’on n’oublie jamais : Tarnation de Jonathan Caouette (2004). Pour son premier film en forme d’autofiction réalisée chez lui sur imovie, il avait mis en scène l’intime, le tragique : toute sa vie par le prisme de l’évolution psychiatrique de sa mère et la quête de son identité sexuelle, dans un tourbillon hypnotique de photos et de vidéos super 8 parfois tournées lorsqu’il était encore enfant. Ces images d’une force indélébile étaient accompagnées d’une bande son magnifique (Lisa Germano, Cocteau Twins, Mavis Staples, Marianne Faithfull, The Magnetic Fields…), et comportaient également trois titres de Low (Laser Beam, Embrace et Back Home Again), présents symboliquement au début, au milieu et à la fin de son film. Lorsque j’ai écouté Double Negative, j’ai immédiatement pensé à Jonathan Caouette, me demandant ce qu’il aurait pensé d’un tel disque. Voici sa réponse.
« C’est un magnifique concept album, conçu comme une phrase sans fin. De loin le plus expérimental des albums de Low qu’il m’ait été donné d’écouter. Toutes mes interprétations personnelles au sujet de chaque chanson pourraient être complètement fausses… quoi qu’il en soit, ci-dessous, en quelques mots seulement, quelques idées diverses qui m’ont traversé l’esprit. L’album dans sa globalité me fait penser à la mort, et à ce qui pourrait nous arriver après. Une fois encore, je peux me tromper complètement… mais cela vient simplement de moi. Je n’ai jamais entendu d’instrumentation ou de sons fusionnés ensemble de cette manière, de la part d’aucun autre artiste jusqu’à présent. L’album entier me donne l’impression qu’il vient du futur. »
Quorum
« On dirait que ces voix proviennent d’une réalité alternative qui me parlerait d’autant plus si le monde avait été plongé dedans. La fin du monde, mais aussi le début d’une forme d’espoir. »
Dancing And Blood
« Hypnotique, comme une forme d’ASMR existentielle (Ndlr : ASMR ou RAMS, Réponse Automatique des Meridiens Sensoriels, une technique de relaxation auditive). Le deuil du XXème siècle, le deuil de la réalité comme nous l’avions connue. »
Fly
« Une projection astrale, ou les âmes volent au-dessus de l’Apocalypse, dans une zone d’attente, un purgatoire temporaire. »
Tempest
« Tempest me donne le sentiment d’un morceau sur la métamorphose, une redéfinition de l’énergie des âmes en une seule, prête à être redistribuée à nouveau dans une autre forme. »
Always Up
« Une lueur d’optimisme et d’espoir. Un titre en forme de rêve, de fièvre hypnagogique. Est-ce que tout pourrait être en quelque sorte inversé? Je n’ai pas d’idée de ce que je veux dire par cela. »
Always Trying To Work It Out
« Une drogue digitale binauriculaire. Wow, quelle chanson magnifique. »
The Son, The Sun
« La renaissance d’un nouvel univers. »
Dancing And Fire
« Les différentes entités doivent être des martyrs pour qu’un nouveau monde puisse émerger. Une chanson méticuleuse sur la reconstruction de la réalité. »
Poor Sucker
« Le problème du mal dans l’humanité est inévitable. Même si nous nous réveillions amnésiques un jour, nous trouverions toujours une façon de se détruire les uns les autres. »
Rome (Always In The Dark)
« L’éternel retour. L’histoire qui se répète pour la millionième fois. »
Disarray
« Une fable, une mise en garde pour que nous ne nous détruisions pas mutuellement. »