Le jeune Romain Guerret a vécu ses premiers émois dans les années 80, et l’italo disco l’a bouleversé. Le chanteur d’Aline, s’il s’est d’ailleurs par le passé rêvé crooner jetable et synthétique sur les deux albums de son projet solo Dondolo, a relancé sa carrière en marge des deux albums d’Aline et officie désormais sous le nom de Donald Pierre avec le tube (Elle Est Partie) Ma Panthère, passé beaucoup trop inaperçu en 2018. Depuis, cet infatigable jeune homme a bouclé l’album d’Alex Rossi, dont le single Tutto Va Bene Quando Facciamo L’amore avec Jo Wedin, a fondu tout l’été avant sa sortie prochaine. Il met une touche finale à la production du disque de mOnde, et retourne se consacrer à son prochain album personnel, mais a tout de même trouvé le temps de retourner dans son enfance pour partager ses vibrants souvenirs d’italo.
« L’italo est intimement liée à mon enfance : c’est ce qu’on écoutait à la radio dans le camion de mes parents. Durant la décennie 80, tout était plus ou moins italo, ce genre avait conquis le monde et touché le grand public en l’espace de quelques mois seulement. Les grands tubes de l’époque avaient tous ce son synthétique et plastique. Tout était à peu près produit pareil, les synthétiseurs et les boites à rythmes avaient pris le pouvoir dans tous les studios du monde. A l’époque, je ne savais même pas que c’était italien et qu’on appelait ça l’italo disco, car pour moi la musique était ce qui passait à la radio et tout ce qui passait à la radio ça avait ce son-là. Les toutes premières chansons de Madonna ressemblaient beaucoup à de l’italo, ce que faisait New Order aussi dans un autre genre, le spectre était très large, il y avait vraiment des choses très pointues et très underground, mais moi je n’avais que 8 ans et je ne connaissais que la face grand public de ce style de musique. » « Le morceau qui a marqué mes vacances en 1985, c’était Tarzan Boy de Baltimora, pas le meilleur morceau d’italo, loin de là mais en tout cas celui qui passait en boucle à la radio en aout de cette année. Il est difficilement réécoutable aujourd’hui avec son refrain en « Oh Oh Oh Oh Oh Oh » hyper pénible. Les souvenirs que j’en ai sont des souvenir diffus d’images ultra précises, des souvenirs de moments heureux, d’insouciance, quelque chose de très solaire, des sensations physiques, la sensation d’être vivant, la sensation d’être au début du voyage. Mon amour pour l’italo a le gout du sel, du sable et du vent marin, de la route au soleil dans le J7 Peugeot de mon père, le gout des fruits murs de l’été, du jus de pêche qui court en petits ruisseaux sur mon jeune ventre glabre. Cette musique et ce son particulier m’ont marqué à vie. J’en aime aujourd’hui le coté désuet et hors du temps. »
Baltimora Tarzan Boy (1984)
« L’italo, c’est un bonbon, une glace, une sucrerie, très satisfaisant et facile à consommer sur le moment mais qui peut aussi se révéler écœurant à la longue. Et comme dans toutes confiseries y a des choses très réussies et pas mal de « machins » complément ratés ou inutiles. C’est la rencontre d’une technologie qui commence à se démocratiser et à devenir relativement bon marché (synthétiseurs, boites à rythmes, séquenceurs etc…) avec l’aspiration du public et l’esprit d’une époque. Cette nouvelle offre crée la demande et les esthétiques se standardisent jusqu’à ce que d’autres nouvelles esthétiques les remplacent. Dans italo disco, il y a disco mais pas que, c’est un mélange complexe de rythmes, de sons et de mélodies. On pense aux jambes mais on n’oublie jamais l’âme et les sentiments, ça raconte toujours quelque chose, ce n’est pas de la danse pour de la danse, même si ça ne va pas chercher bien loin on fait attention à ce qu’il y ait des couplets et des refrains, des ponts, des plages instrumentales. C’est bien foutu au final, c’est fait par des Latins romantiques, quoi. Ce qui me plait aussi là-dedans est que c’est une musique populaire et pointue à la fois, presque avant-gardiste par moment, mais surtout une musique quasiment créée à la chaîne pour plaire au grand public, avec une recherche d’efficacité maximum, sans avoir peur du too much. Et force est de constater que ça a fonctionné. Ça rappelle le Brill Building ou la Motown des années 60, de véritables usines à tubes, c’est assez fascinant, parce que très éloigné de l’idée pure et sacrée que l’on se fait de la chose artistique en général. Pour finir sur une note « matériaux », l’italo disco m’évoque le plastic avec un C, et j’adore le plastic avec un C. »
Alba Only Music Survives (1985)
« Je n’ai pas vraiment de visages ni de personnalités fortes à coller à cette musique et c’est aussi pour ça que je l’aime. Il n’y a pas de discours à la con derrière ni de poses intellectuelles foireuses. On n’est pas là pour se prendre le chou, merde ! Les années de plombs de l’Italie 70’s commencent à être loin maintenant, on veut du fun ! Les interprètes sont interchangeables, une face A chantée difficilement par une Miss Italie belle et désirable et en face B, un instrumental. Les vrais héros sont les producteurs derrière, les types créaient un label pour sortir parfois deux pauvres 45 tours, c’est pour ça que c’est vraiment un genre pléthorique l’italo disco. Il y a une multitude de labels et de disques, c’est un vrai foutoir avec des trésors incroyables et des tonnes de choses atroces à côté. Pour moi, il reste les images des pochettes, souvent des photos des nanas qui chantaient, des belles italiennes glamour et vulgaires, plastoc et hyper stylées à la fois. Bon nombre de disques sortent avec juste un prénom de femme, chanteuse pour l’occasion. J’aime particulièrement Alba, une ancienne Miss Italie justement. J’adore son morceau Only Music Survives. (NDLR : En témoigne cette vidéo filmée sur le plateau de Dechavanne en compagnie d’un Serge Gainsbourg totalement subjugué). »
She Male I Wanna Discover You (1984)
« J’ai découvert ce morceau sur le tard, quand je travaillais sur le premier album de Dondolo et j’en ai fait une reprise sur Une Vie De Plaisir Dans Un Monde Nouveau, le deuxième album sorti en 2010… Un disque rare et très recherché, quasi impossible à trouver, un des secrets les mieux gardés de l’italo disco tendance sensible. On ne sait quasiment rien sur ce truc, ça a dû être fait à l’arrache par des producteurs sous alias comme d’habitude. On est dans le versant fragile de l’italo et là, c’est carrément pop et dreamy, suave à mort, d’une beauté plastique incomparable. Il me fait toujours le même effet, j’ai une boule coincée dans la gorge, une bulle sensible en excroissance de l’âme, cette chanson est le paradis perdu de mon enfance. Elle me donne envie de pleurer. »
BWH Stop (1983)
« Le type derrière B.W.H. a sorti d’autres trucs pas mal du tout sous le blase de Casco… C’est l’un des meilleurs morceaux de danse musique tout genre confondu, carrément funky avec cette arrivée de piano avant les refrains chantés. Le beat est lourd et bien vintage, l’arpégiateur qui ne tourne pas très rond rend le titre bien sale, le chant enlève le tout et apporte une touche pop au bordel. On n’a pas envie que ça s’arrête, on est hypnotisé… Demain après-midi, j’irai à la plage en écoutant Clio mais pour ce soir je reste dans le club. »
Clio Faces (1985)
« Voici un classique incontournable de l’italo disco, peut être le sommet du genre, en tout cas un mètre étalon (disco hihihi). Il y a tout là-dedans : la LinnDrum bien grasse et sa reverb gate qui tabasse, les synthés qui tournent dans tous les sens, des champs / des contre champs, une basse probablement joué au DX7, la voix éthérée de Clio qui ne chante pas très bien, et en Anglais, comme il se doit. Et si on laisse tomber un peu la production, on voit que la composition est en tout point géniale, hyper mélodique, couplets, refrains qui font mouche direct. Là on est vraiment au cœur du sujet, il y a du soleil, il y a des nanas bronzées, leur peau est chaude et a le gout du sel, les glaces à l’eau commencent à fondre et puis toujours cette petite pointe de nostalgie sous-jacente. Cheesy mais super élégant. »
Véronique Jeannot Aviateur (1988)
« En France durant les 80’s, on a eu plein de super morceaux italo like. Il faut dire qu’on se ressemble beaucoup avec les Italiens, on se prend peut-être un peu plus au sérieux et puis on a toujours eu un penchant pour la musique de danse et la musique électronique ici. On a presque failli inventer le disco… J’aime bien plein de trucs de Jeanne Mas, on pourrait aussi parler de Desireless et de son Voyage Voyage, de Stéphanie de Monaco avec Ouragan (super morceau au passage) et de plein d’autres choses un peu plus obscurs genre An Luu Pourquoi Tu M’fous Plus Des Coups ou Marine Jolivet Comme Un Pop Corn (assez bas de gamme mais à écouter absolument, le texte est super drôle). Mais celui qui me vient spontanément à l’esprit c’est Aviateur de Véronique Jeannot (1988). Ce n’est peut-être pas évident comme ça à première vue, mais il y a un gros feeling italo, même si la production lorgne plus déjà vers les années 90. C’est aérien, léger et très mélancolique. »
Righeira Vamos A La Playa (1983)
« Selon moi il n’y a pas de plaisir honteux ; s’il n’y a pas de gêne, il n’y a pas de plaisir et tout l’italo est un guilty pleasure, n’est-ce pas ? Mais bon, la scie musicale dans toute sa splendeur, un des plus gros hits italo de tous les temps (en tout cas en Europe) : Vamos A La Playa, à l’origine une chanson sur la bombe atomique, de Righeira… »
Donald Pierre (Elle Est Partie) Ma Panthère (2018)
« L’essence italo s’est diffusée partout depuis 30 ans, au détour d’un refrain, d’un son de batterie, d’un arpège de synthétiseur ; on en a gardé des tics de productions, des manières de faire, des feelings, moi le premier d’ailleurs. Je ne vois pas vraiment de descendants directs car c’est un genre devenu classique, on peut piocher dedans à sa guise, le laisser tomber puis y revenir au gré de nos humeurs et de nos envies comme nous l’avons fait pour le disque de mon camarade Alex Rossi. Nous nous sommes inspirés d’une époque, d’une façon de faire, des sentiments diffus de dolce vita désormais fantasmée en jouant avec les clichés du genre mais sans jamais tomber dans le pastiche facile. On retrouve aujourd’hui des éléments italo dans le rock, la variété et aussi et surtout dans la musique électronique. L’époque en tout cas n’est pas spécialement propice à l’insouciance qui était une part importante de l’esprit italo, tout est grave aujourd’hui et la musique populaire n’est plus consommée comme il y a 20 ou 30 ans. Malgré tout, il y a depuis quelques années des groupes et artistes italiens qui s’inspirent de ce patrimoine longtemps boudé par ceux même qui l’avaient inventé. Il aurait fallu que d’autres s’y intéressent pour que ce style ne soit plus jugé honteux. »