En plus d’être une aubaine pour le fraichement converti et absolument convaincu des délices de la langue française, le groupe balte francophone Domenique Dumont n’en était pas moins une anomalie, portée avec enthousiasme par la maison de disques parisienne Antinote dans les années 2010. Anomalie, parce que le duo produisait une musique hors format dont on fait les cultes, étrange et mystérieuse – bien au-delà de son choix pour une poésie naïve qui par ses paroles gazeuses rappelait celle des japonais francophiles des années 80. Anete Stuce et Artūrs Liepiņš avaient trouvé la formule parfaite entre légèreté dansante, découpée en de multiples détails sonores minutieux, et mélancolie approximativement psychédélique dans deux disques Comme ça (2015) et Miniatures de auto rhythm (2018) qui sont devenus chez nous de vrais classiques du temps présent, tout simplement.
C’est peu dire qu’on attendait la suite dans la foulée, mais Domenique Dumont a suivi un chemin plus erratique ces dernières années, avec un album principalement instrumental lié à un ciné-concert, People On Sunday dont on n’avait pas gardé un souvenir impérissable. Retour ces jours-ci à la formule des jeunes années avec Deux paradis, Artūrs retricote des trames où ses répétitions mélodiques et ses motifs rythmiques signés (avec cette folle impression d’exploitation insensée de presets de vieux synthés quasi) portent la voix cachée dans les effets d’Anete qui joue avec les sonorités de notre langue comme une Elisabeth Fraser timide l’aurait fait si elle avait préféré Sagan à Austen. Même si on sent que le temps de l’innocence est révolu dans cette horlogerie de petites imprécisions : la musique laisse apparaître des choses plus identifiables, ici et là pointe un rythme reggae même pas dissimulé, là émerge une accointance surprenante avec la house anglaise des années 90, là se montre un son un peu trop invasif pour un solo de guitare de DD. En résulte une drôle d’impression, celle de croiser un ami d’enfance un peu perdu de vue, et dont les traits se seraient affirmés, la silhouette affermie, la charpente plus imposante, on dira que c’est l’âge, quoi. Plus d’expérience, plus d’efficacité.
Passé ce chagrin léger – il faut aussi apprendre à lâcher prise avec ce sentiment qu’un groupe nous appartient pour toujours, dans un formol pétrifiant – après tout, les disques sont faits pour ça -, et qu’il puisse évoluer, sans doute ici vers un plus large public – on a le bonheur de replonger dans cette musique mouvante, fraîche, adaptée à notre époque en chaleur, avec ses qualités d’exploration d’un autre monde fluide, doux et aimable. Arturs nous confiait dans Langue Pendue en 2018 : « (notre musique) a des vertus relaxantes, elle n’isole pas de la réalité, au contraire, elle permet de l’accepter, et en faisant danser, elle permet de se débarrasser des douleurs et des peines ». Cette musique a toujours ce pouvoir fabuleux de désorientation, c’est toujours intact : on voyage d’une seconde à l’autre à Miami dans les eighties, en after pour chiller dans le Londres du Summer of love, en 2CV dans la France de Brigitte Bardot, et souvent dans les rues de Riga, Kingston de ce petit dub européen, et dans l’espace quand on ne comprend plus rien de ce qui s’y passe. C’est un sentiment toujours unique, dont seul Domenique Dumont détient la magie en ce moment. Grand groupe, ça c’est sûr.