« J’m’en sortirai, comme d’habitude, en écrivant une bonne petite chanson bavarde »
Durant l’hiver 2018, j’écris le spécial Côte Ouest de Langue Pendue, qui raconte le quotidien de huit groupes pop (noisy/anorak) d’ici du début des années 90. Je m’entretiens alors avec les protagonistes uniquement par écrit, par courriels, par les réseaux sociaux. Ce n’est pas vraiment conscient mais de cette manière j’ai l’impression de communiquer avec des jeunes gens de 18-20 ans, des esprits, des fantômes captifs des archives photographiques rassemblées à dessein. Comme si j’avais actionné une machine à remonter dans le temps de ma jeunesse révolue. J’ai adoré ces moments. Au fur et à mesure cependant, j’ai aussi réalisé que j’échangeais non seulement avec des émanations de mes souvenirs mais aussi avec des adultes de chair et de sang, dont nombreux étaient ceux qui avaient poursuivi leurs rêves de musiciens, de façon amateur, en dehors des circuits professionnels, souvent sous les radars de la presse, en tous les cas sous-exposés par rapport à l’originalité de leurs démarches. Je pense aux diverses incarnations des membres des Autres, An Ocean Of Embers, Extreme Shoegaze, Megrim, à Yann Savel, échappé de ses 1000 Spirales, et dont la carrière en solitaire explore des beaux chemins de traverse (je vous en reparlerai sans doute, ici ou ailleurs). C’est aussi le cas de Guillaume Bassard alias Doggy, qui a creusé le sillon entamé avec son groupe Caramel et le label Anorak dont il est un des piliers. Et comme pour beaucoup, il a trouvé son salut hors du territoire national, en Espagne, et aux Etats-Unis, soutenu par la fameuse, informelle et toujours vivace Internationale Pop Underground : le nouvel album est co-édité par les labels Kocliko Records et Jigsaw. Radio .TP. , sorti en mars 2019, égrène, durant 24 petites minutes les fondations du genre : ritournelles légères, chants fragiles, choeurs approximatifs, timides saillies électriques. Doggy récite son bréviaire par coeur, appelez ça comme vous voulez, règles de la twee pop, grammaire de l’anorak pop, ou clichés de la French pop, si vous voulez. Mais peu importe, car au final, il s’agit de très belles chansons, tout simplement, pleines d’hameçons mélodiques acérés : les refrains souvent désarmants rattrapent la liberté chaotique de certains couplets ; des arrangements discrets (un synthétiseur par ci, une trompette par là (joué par Guillaume comme il le déclarait récemment à Pop Is On Fire aménagent ce qu’il faut de surprises et de clins d’oeil aux maîtres étalon de la filière (Brilliant Corners, Field Mice, Sugargliders, Orchids…) pour décrocher définitivement la timbale et atteindre une sorte d’accomplissement du style, imparable. En écoutant énormément Caramel et Doggy ces derniers temps, je me suis mis à rêver d’une trajectoire soutenue depuis les origines – par une presse plus attentive, par des producteurs accomplis, par des structures efficaces – qui aurait amener les projets de Guillaume sur des sommets atteints parallèlement par Stuart Murdoch et Belle & Sebastien par exemple, puisqu’après tout, il rassemblait dans sa musique les mêmes influences que celle du groupe de l’écossais surdoué, et avait la possibilité de les transcender de la même manière. Mais on ne refait pas l’histoire. D’ailleurs, ce n’est pas la moindre des qualités d’un disque que d’exciter l’imaginaire, d’ouvrir des autres dimensions dans lesquelles l’écriture en français si particulière de Doggy, cette façon de faire cavaler les syllabes sur des rythmiques enjouées, de développer des phrases à rallonges sans altérer la légèreté mélancolique de l’ensemble. De cette poésie du réel (travail, hôpital, marché, solitude, campagne, amours éternelles sans fin et sans séparation, ou si, un peu), naîtrait enfin une reconnaissance méritée de par chez nous, avec, enfin posée sur la carte, la ville de Limoges, comme pourvoyeuse de cette pop si particulière.
Merci Renaud pour cette belle chronique. Doggy / Guillaume mérite davantage qu’un petit peu d’attention et je ne me lasse pas de ses refrains désarmants.