DJ Mehdi dans la légende

DJ Mehdi / Photo via arte.tv
DJ Mehdi / Photo via arte.tv

Si la France sait produire de grands documentaires, la culture populaire est rarement concernée. Encore moins des courants récents comme le Hip-Hop ou l’électro, si ce n’est sur le mode auto-promotionnel, sans parler des émissions sur la TNT pour combler la grille du samedi soir. L’hexagone semble penser que l’histoire s’est arrêtée dans les années 70 pour la musique. Il ne sait pas comment honorer les légendes qui sortent du crédo chanson ou variété. Nous ignorons mêmes souvent qu’elles existent.

La série de Thibaut de Longeville consacrée à Dj Mehdi, disparu tragiquement en 2011, s’avère donc une heureuse surprise, qui par ailleurs évoque une épopée plutôt récente, qui nous a touché de près ou de loin, parfois personnellement. Le nom du héros est certes connu des passionnés de rap français, des initiés de certains cercles de la musiques électroniques et des nombreux heureux élus qui ont croisé son chemin, dont le réal qui fut de ses amis. Il est incontournable. Il avait un « son », une expression régulièrement répétée au fil des six épisodes dans la bouche des intervenants. Il a par exemple produit Tonton du Bled par 113, grand succès populaire du rap français après le Bouge de là de MC Solaar. Il a mixé partout dans le monde, dans les plus grands festivals, les clubs les plus select et il semble presque impossible de lui trouver des ennemis.

DJ Mehdi et Kery James / Photo : DR
DJ Mehdi et Kery James / Photo : DR

Pourtant, la France est-elle simplement capable de reconnaitre ses prodiges, surtout avec le mauvais profil de départ ? La force du propos de cette série, primée à Cannes, réside bien dans cette interrogation. Où classer cet enfant de banlieue (Colombes), issu de l’immigration tunisienne, curieux, intelligent, bon élève, qui bidouille son séquenceur lui-même a onze ans, qui se lie à un jeune Kery James d’Orly dont on devine le charisme dès les premières images, sous la bouille enfantine. Le plus touchant se situe peut être aussi d’ailleurs dans l’amitié entre ces deux caractères a priori opposés, par-dessus leur vécu et leur trajectoire, qui survivra aux choix personnels qu’ils finiront par prendre. La pudeur de Kery James pour l’aborder marque du sceau de l’émotion ce qui aurait été déjà passionnant par la seule dimension artistique ou les anecdotes plus ou moins amusantes. La suite est connue et s’écrira dans la bande son de la Mafia K’1 Fry, avec l’album d’Ideal J, et surtout l’iconique Les Princes de la Ville du 113.

Mehdi / Photo : Nicolas Kssis-Martov
Mehdi / Photo : Nicolas Kssis-Martov

Mais rien n’est simple. La rue qui aimante les comparses du 94 fait face à la chambre où Medhi sample à l’infini et alimente continuellement son esprit au large spectre, pendant qu’il se met à la guitare en se prenant pour Neil Young, comme le résume Pedro Winter. La France au tournant des années 2000 ne sait toujours pas, malgré la victoire des Bleus de Zidane en 1998, si elle doit avoir peur ou admirer ces nouveaux « nationalistes », comme s’en amuse Kery James, qui francise inéluctablement le hip hop et invente une sorte de nouveau souverainisme, pendant que Dj Mehdi puise son inspiration aussi bien dans la musique arabe que dans Kraftwerk. Il offre de la sorte au rap « de chez nous » d’éviter le piège l’imitation par respect ou déférence, du gangsta rap ou de Gangstarr. Certains albums davantage confidentiels comme Contenu sous pression de Karlito ou Top départ de Rocé en apportent l’illustration parfaite, tous deux en 2001.

Happé par la scène électronique, et même à la fin par la House au sens classique, Mehdi se rapprochera d’une autre famille, autour de Ed Banger Records. Cette partie de sa vie s’avère moins créatrice au sens stricte -l’épisode douloureux de l’échec de son premier projet solo- ou du moins radicalement décisive, toutefois il garde la force de gravité d’un électron libre un électron libre qui capture dans son aura tout une galaxie d’A-Trak à Justice, sans parler de ses collaborations avec Romain Gavras, notamment. Il tentera de cumuler les univers, parfois avec réussite en invitant Thomas Banglater sur un morceau du 113.

Thibaut de Longeville réussi parfaitement à décrire cette historie en laissant les images d’archive ou les nombreux témoins, famille, proches, artistes, s’exprimer longuement. A chacun de compléter les blancs qu’il pensera connaître et deviner. De nombreuses problématiques résonnent toujours d’une terrible actualité, comme l’hostilité à l’époque être les deux scènes, rap et électro, et qui se matérialisait quand il s’agissait de passer le barrage du physio à l’entrée du Queen. Cette série documentaire restera, au-delà de l’hommage à un immense producteur, une belle déclaration d’amour à un génie qui ne pouvait ne naître et s’exprimer qu’en France, en banlieue.


Dj Mehdi, Made in France, une série documentaire de  Thibaut de Longeville sur Arte.fr

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