I. A Strasbourg, il y a quelques années, il y avait un groupe étonnant qui s’appelait Enregistré Par Steve Albini. C’était un peu pour se moquer des groupes qui allaient enregistrer chez Steve Albini. La légende locale dit que la démo d’Enregistré Par Steve Albini a atterri chez Steve Albini qui leur a proposé d’enregistrer chez lui, mais finalement Enregistré Par Steve Albini n’a pas voulu enregistrer chez Steve Albini, vous me suivez ? Tout ça pour dire que le disque de Décibelles a été enregistré par le roi du poker à Electrical Audio et mastérisé par Bob Weston : on y entend cette mise en son signée, théorisée il y a longtemps sur la pochette d’At Action Park de Shellac et énoncée en trois points : le temps (caisse claire assommante), la masse (la basse caoutchoutée) et la vélocité (la guitare tranchante).
II. Décibelles a enchaîné plusieurs premières parties sur les tournées de Shellac. Mais c’est à Strasbourg au Diamant d’Or, salle secrète, que je les ai vues pour la première fois. Le concert devant trente personnes m’a bien plu, ça bougeait bien, c’était un peu bourrin, mais habile, en place, c’était une soirée parfaite. Quelques semaines après, j’avais vu Tôle Froide dans le même endroit, juste pour dire que j’aime bien les groupes avec des filles (les Supremes, les Shaggs, les Calamités, Lung Leg, Melody Dog, ESG, Safety First…). Ce qui ne veut pas dire que j’aime tous les groupes de filles (bon il y a un gars, mais on s’en fout, comme dirait David Snug).
III. J’ai été plutôt surpris d’apprendre que c’est le label de Strasbourg, Deaf Rock, qui sort l’album du trio lyonnais. D’habitude, je ne suis pas très sensible à leur catalogue, un peu contraint par une sorte d’électro rock anglophone scotché dans les 2000 : mais bon, c’est juste que je n’y connais rien, assez étranger à cet univers fluo-moustache-tatoo, tout simplement. Si on m’avait dit que j’écrirais un jour sur une de leur sorties, j’aurais bien ri. Eux aussi, sans doute, ils doivent bien rire, ou s’en moquer, assurément. Bon, tout ça pour dire que je suis toujours pas fan des jeux de mots, pour les salons de coiffure, ça passe, pour les groupes et les labels, je suis plutôt réservé : Deaf Rock, Décibelles, je trouve ça pas super beau à la base. Mais c’est pas grave, ils se sont bien trouvés.
IV. J’aime beaucoup l’illustration de la pochette par Amina Bouajila, installée un temps à la capitale européenne et qui avait déjà travaillé avec bonheur pour Décibelles. Le titre Rock Français est très honnête aussi, ce n’est pas de la publicité mensongère. On passe trente minutes à bloc, mené par le bout d’une petite voix énergique souvent doublée, qui crie parfois. Les paroles pourraient d’ailleurs faire le sujet d’un dossier dans le fanzine strasbourgeois que je connais bien (c’est le mien, c’est Langue Pendue, vous aviez deviné) parce qu’elles composent un petit précis poétique en français de la jeunesse rock du pays – elle existe encore, donc : libérée et défoncée parfois (Dimanche), directe et parfois violente (Qu’est-ce t’as), travaillée par des histoires filles-garçons (Manger Mon Ex) et de sexe (J’aime Trop Mon Clito), et finalement si seule, comme les générations qui l’ont précédé (Noyée dans l’océan qui ouvre le CD en trombe et en tube, pas si loin des Breeders, forcément, Albini tout ça).
V. Le disque a aussi fait tilt de façon inattendue et m’a rappelé l’un de mes disques favoris sur Herzfeld, un autre label strasbourgeois, paru en 2011 : le très bel album d’Einkaufen, trio filles-garçon aussi, avec une production très différente et très forte, mais avec la même homogénéité, la même énergie, peut-être plus teinté de tristesse. Rappel pour plus tard: ne pas oublier de vous reparler, un jour, de ce disque injustement tombé dans les oubliettes.
VI. Tout ça pour vous dire au final, que j’aime bien le disque de Décibelles, Rock Français, paru sur Deaf Rock, que je vous recommande et auquel je donne la note encourageante de….