Ils étaient loaded, bien avant Primal Scream, disons cinq bonnes années, et vu le clip, on ne sait pas trop à quoi ils tournaient, mais ils planaient bien haut. Et même que le chanteur avait un petit chapeau, le même que Stuart Murdoch de Belle & Sebastian s’est mis à porter quelques années plus tard, avec plus de classe, on dira. Ils venaient de Glasgow, comment en eut-il été autrement ? Ils venaient de cette ville d’Écosse, qu’ils surnommaient Raintown, ville de tous les fantasmes du petit gars de seize ans de l’Est de la France que j’étais. Je m’étais choisi ce coin de paradis comme d’autres avaient pointé, sur la carte de leur désir, Tahiti ou Bora-Bora. Ou plutôt, c’est cette ville qui m’avait choisi.
Bien avant que ma vie musicale ne bascule entièrement, avant que les frères Reid et les amis de Stephen McRobbie ne deviennent ma famille de substitution, il y avait tout une lignée de groupes qui avaient placé l’Ecosse sur la planète musicale : Simple Minds, bien sûr qu’on avait entendus dans le Breakfast Club fondateur de John Hughes. Il y avait Hipsway qu’on avait entraperçus dans une émission spéciale des Enfants du rock, un samedi soir, les yeux mi-clos et dont on avait poncé le premier album de 1986 avec entre autre, Set This Day Apart. Il y avait aussi l’école héroïque, les Silencers avec leur Scottish Rain et Wet Wet Wet à la rigueur. Mais le groupe qui avait transpercé mon cerveau de lycéen, c’était Deacon Blue, sorte de Prefab Sprout en moins intello, moins doué sans doute, plus prolo peut-être, avec des chansons radio FM évidentes et toujours porté par cette vision de la soul (blue-eyed soul, on disait je crois) qui traversait plus (Hipsway) ou moins (Silencers) tous ces groupes depuis les insurpassables Orange Juice.
De Raintown, j’écoutais en boucle le tube Loaded, donc, et surtout ce Dignity qui fonctionne toujours bien, comme un classique, un standard qu’on a envie de chanter, de s’inscrire dans cette voix un peu rocailleuse, comme un Joe Cocker un peu caniche, un peu nain. Il y a la voix de la copine aussi, précise et nette, comme une choriste de country qui harmonise comme une bête, toujours à la bonne hauteur, pour mettre la voix du poto en valeur. Et aussi de manier le tambourin avec une joie un peu surjouée. Alors bien sûr, la poésie adolescente allait surgir ailleurs un tout petit peu plus tard, dans les pantalons de cuir, le duffle-coat, les guitares saturées, mais ce disque Raintown reste ce petit plus inavoué, le truc qui était là avant et qui régalait les soirs tristes (on ne savait pas pourquoi) des quinze ans, quand on est dans sa chambre et qu’on ne voit pas encore trop comment on va en sortir.
Trente cinq ans plus tard, c’est quasiment les mêmes frissons qui sont véhiculés quand on réécoute cette pop un peu vieillotte, trop bien branlée, prête pour la radio, et les télés régionales, définitivement à l’abri des critiques branchés ou des classements définitifs. Je ne sais pas ce qu’est devenu le groupe : visiblement, ils répètent encore inlassablement les chansons de ce disque en concert, en fêtant sans doute au fur et à mesure les 10, 20, 30, 40, 50 ans pourquoi pas de sa sortie, sans se lasser de le rejouer et nous de le réécouter à intervalle régulier, avant de toujours revenir au cours de notre vie. Et tiens, j’ai même cherché si Belle & Sebastian n’avait pas eu l’idée géniale de reprendre Deacon Blue, ça serait un beau cercle de la vie bouclé. Et vous savez quoi ? Ben non. Mais presque, on n’est pas tombé loin, parce qu’en cherchant sur Google, lorsque Stuart répondait à la question « Une chanson qui résume l’esprit de Glasgow ? » dans Télérama il y a quelques années, il a répondu : « Dignity, sur Raintown (1987), le premier album de Deacon Blue. Ils faisaient partie de cette scène soul de Glasgow – à cette époque certains groupes écossais étaient assez soul. C’est un vrai disque sur Glasgow, très enraciné dans la ville. La photo de couverture est prise au premier endroit où j’ai vécu à Glasgow. La vue de ma fenêtre, c’était ça, vers les docks, là où tous les bateaux étaient construits, dans la partie ouest de Glasgow. Dignity est une chanson incroyable, qui parle d’un gars de Glasgow dont le rêve est de posséder un bateau. C’est classique, mais elle charrie beaucoup d’émotions. Une super chanson, avec beaucoup de variations. » CQFD.