Sur les rares archives qui subsistent de ses épisodiques apparitions télévisuelles au début des années 1970, Dave Evans semble s’effacer tout entier derrière son instrument, cette guitare à caisse verte qu’il a lui-même bricolée pour mieux l’adapter aux exigences si particulières d’un style à la fois limpide et percussif. Les yeux et la bouche entièrement clos, esquissant tout juste un demi-sourire, il s’abandonne intégralement aux délices de la virtuosité, concentré sur l’objectif prodigieux : faire surgir de ses dix doigts le déluge de notes que d’autres, Davy Graham ou Bert Jansch inclus, peineraient à susciter même si la nature les avaient généreusement dotés de quatre mains. C’est pour son impressionnante dextérité, dont témoignent également quelques albums instrumentaux plus tardifs, que cette figure secondaire du folk britannique a fini par accéder à sa petite portion de notoriété, du moins parmi ses pairs d’hier et d’aujourd’hui – au rang desquels on compte désormais Steve Gunn qui ne tarit plus d’éloges sur ce maître méconnu du picking. Un musicien pour musiciens pour reprendre les stéréotypes consacrés, ceux qui servent trop souvent à désigner les interprètes qui suscitent davantage de respect admiratif que de véritable passion.
C’est heureusement un talent bien plus complet que révèle cette réédition bienvenue d’une première œuvre composée et enregistrée avec le peu de moyens du bord en 1971. A l’époque, Dave Evans gravite, comme tant d’autres apprentis songwriters, dans les cabarets folks de sa ville d’origine, Bristol. Il y attire l’attention de quelques confrères et autres mécènes bienveillants qui le poussent à conserver la trace de ces dix chansons originales aujourd’hui exhumées. Evans y développe une écriture qui, sous des dehors relativement banals, finit par révéler une personnalité singulière qu’aucune comparaison avec ses contemporains plus fameux ne parvient réellement à synthétiser. L’observation du quotidien, où se mêlent le sens du détail pertinent et le don pour les portraits finement croqués, occupe une place centrale. Les mélodies et la voix ne sont certes pas d’une fulgurance aussi saisissante que le jeu de cordes pincées, mais elles possèdent une spontanéité à la fois robuste et charmante que viennent souvent sublimer les vocalises en contrepoint d’Adrienne Webber. Solidement enraciné dans les références aux traditions du folk et du blues, Evans possède suffisamment d’allant pour ne jamais s’y enliser et bien assez de respect à l’égard de ses chansons pour ne pas les accabler sous le fardeau de sa propre virtuosité. Brillante mais nullement envahissante, l’instrumentation acoustique est ici mise au service de l’interprétation, sans que subsiste la moindre trace audible d’effort ni d’ostentation technique. Cet équilibre fragile ne se maintiendra malheureusement que le temps d’un album. Quelques déceptions discographiques plus tard, Evans renonce à toute ambition carriériste pour gagner sa vie en réparant ou en accordant les instruments des autres. On ose à peine imaginer ce qu’il a pu penser en contemplant, jour après jour, des mains moins expertes que les siennes effleurer les manches entretenus par ses soins. Il aurait légitimement pu, en tous cas, entretenir quelques souvenirs fiers et nostalgiques de ce petit chef d’œuvre qu’il a légué à une postérité trop longtemps indifférente. Un oubli que l’on souhaite aujourd’hui réparé.