Le paradoxe du songwriter vaut bien celui du comédien. Il y a ceux qui cherchent à restituer au plus proche l’illusion de l’intimité, qui jouent le jeu du dévoilement privé pour mieux laisser croire à chaque auditeur qu’il partage, le temps d’une chanson, un peu d’un secret singulier et authentique. L’art sans artifice en quelque sorte. Daniel Knox n’est décidément pas de ceux-là. Pour son cinquième album en un peu moins de quinze ans, il demeure profondément ancré dans le camp du subterfuge où se regroupent tous ceux qui semblent persuader que l’émotion juste ne se conquiert qu’au terme d’un labeur spécifique qui engage une part de dissimulation, de transfiguration et de mise en forme. La vérité la plus crue révélée grâce aux masques. D’emblée, le Chicagoan laisse affleurer des pulsions sans doute tout aussi profondément enfouies et tout aussi véritables que celles des tenants du spontanéisme minimal. » I want to be right where I’m supposed to be/I want to kill everyone close to me. » balance-t-il sur King Of The Ball. Mais l’inavouable se déclame ici sur un fond de piano bastringue et de saxophone, qui rappelle presque le Tom Waits errant de Rain Dogs (1985) et qui crée ce décalage subtil qui rend la confession supportable. Il suffit qu’on songe donc à Waits, pour que les vieux débats resurgissent : est-il important ou non que le verre qu’il ingurgite sur scène soit réellement rempli de whisky ou bien d’eau teintée, du moment que l’illusion de l’ivresse est restituée et transmise dans ses moindres nuances ? Quoi qu’il en soit, elle est ici parfaite. Même si ces nouvelles chansons ont été conçues et enregistrées plus rapidement qu’à l’accoutumée, il demeure toujours quelque chose d’un peu théâtral dans le vibrato presque outré du baryton et dans cette galerie de personnages qu’il se plait à dépeindre ou à incarner pour les faire défiler, tour à tour, sur la scène obscure de son cabaret nocturne.
Mais ce parti-pris formel ne constitue nullement un obstacle à la restitution des nuances. Ancien collaborateur éphémère de David Lynch, Knox s’y entend à merveille pour cultiver l’étrangeté dans ses évocations romantiques du sentiment amoureux, de la rupture ou de la solitude. Comme chez tous les grands maîtres inspirés de la prestidigitation musicale – il y a, à la fois, un peu de Marc Almond et de John Grant dans les élans lyriques qui traversent ces ballades – les inflexions les plus dramatiques et les plus saisissantes surgissent quand une larme vient fendre l’épaisseur du maquillage assumé. A cet égard, les occasions de s’émouvoir ne manquent pas en parcourant cette collection de chansons qui oscillent entre le croquis, réel ou imaginaire – Girl From Carbondale – et le monologue intérieur méditatif – I Saw Someone Alone. La maîtrise absolue, sans ficelles apparentes : que demander de plus ?
Un magnifique artiste que je tiens a decouvrir plus amplement, ce genre d’artiste qui nous tombe du ciel semble si rares de nos jours…Bizarre que Nick Cave n’ait pas ete rappele dans l’article.
MERCI!