This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe
Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.
La nuit sertie de nuages
Une voix. Encore un peu… On l’entend avant qu’elle ne s’éteigne définitivement. Avant qu’elle ne reparte, là, dans cet insaisissable, ce lieu que l’on ne pourrait pas définir et qui, pourtant, nous est rageusement vital. La voix de Jean-Louis Trintignant me poursuit déjà. Non, elle ne me poursuit pas – elle se dépose. Une empreinte-amie, un talisman. Qu’ai-je perdu avec cette disparition? Beaucoup. Son ton grave m’apprenait la légèreté. Ma Nuit chez Maud, mon film d’apprentissage qui cache derrière une certaine raideur, les plis amples de la sensualité la plus redoutable, demeure ma rencontre fétiche avec Trintignant. Voilà que la nuit se fait complète pour cet homme, cet homme déjà mort, cet homme de douleur rentrée. La voix grave de Marie Trintignant charriait les hautes solitudes de son père. Il y a une répétition d’histoire dans une voix, une forme insistante de ce qui veut être définitivement entendu. J’entendais aussi ce corps fragile, fin et insaisissable. Il glissait comme le sable. Sa mère, comme celle de Rilke, l’habillait en fille. Il a fallu rendre de la douceur au choc de l’identité, il a fallu s’évaporer des assignations. Je le vois et l’entends danser jusqu’à ce qu’un amour finisse ou renaisse. Peu importe, pourvu que l’on écoute encore et encore cette voix fragile. Cette voix qui se dépose éternellement.
L’éternelle chaleur
L’idée du meilleur d’un être, le séquençage de ce que l’on considère comme ses parties les plus importantes, parait d’une vulgarité sans nom. La maladie du best of a intoxiqué mon adolescence, a réduit des discographies entières à des résumés de bravoure. Pas de temps à perdre, il fallait faire défiler et passer vite à autre chose. Leonard Cohen n’était pas contre une forme de synthèse. Il aimait réduire, laisser la peau sur les os. En écoutant la voix de Trintignant, j’ai pensé à celle de Cohen que l’on propose au public, une nouvelle fois, dans une compilation. Hallelujah & Songs from His Albums. Le bonheur de l’entendre remplace l’intérêt fondamental du projet. Qui sait? Lorsque l’on visite un lieu où un.e artiste a vécu, peut-être saisissons-nous une part infime d’intimité. Ou perdons-nous juste la dizaine d’euros du ticket d’entrée. Ce qui est fascinant avec Léonard Cohen est que, même avec une entreprise triviale, le compte-rendu est mystique. Il transforme son absence. Il rend le vide inflammable. Le silence d’un mort – en musique – semble se trahir à chaque fois. Tout parle, se répète, encore et encore. Comme pour les Trintignant, il y a une forme insistante de ce qui veut être définitivement entendu. Mais le problème n’est pas la merveille et la grâce de ces voix… Cela serait plutôt, pour nous, la capacité à les entendre encore innocemment.