This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe
Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.
Les entrées maritimes
En 1996, je monte à Paris pour la première fois. J’ai 20 ans. Marseille – Paris, c’est la tectonique des plaques. J’ai en tête mille lectures de la RPM, un certain nombres de disques à trouver. Des références fantômes dans les disquaires de la cité phocéenne. Je cherche mal car je désire tout, je lis et relis les articles d’un certain Greib. Je me marre de sa mauvaise foi et surtout, il a bon goût. En 1996, au cours de ce premier dépucelage parisien, je tombe souvent nez-à-nez avec les albums introuvables. Les prix effraient souvent mais l’envie emporte tout. À l’époque, j’imaginais un disque avant de l’acheter. Je l’imaginais à travers les mots d’un article. Une sorte de transmission de pensées qui n’existe plus guère aujourd’hui. Ainsi, je trouvais enfin Spiderland de Slint. Et C du groupe Rex. J’ai dû attendre mon retour à Marseille, l’interminable trajet en train où j’inventais les mélodies, les accords et l’existence même de ces disques. Numero Group a eu la lumineuse idée de rééditer l’album de Rex. C’est un disque de retrospective, de bilan. Mais un bilan poétique – à part. Le Grunge est malaxé au slowcore, l’électricité est ralentie et rajoutée de folklore. Saturation, violon, silence, banjo. Rex donne un témoignage inédit de ce que fut la musique indépendante américaine dans les années 90.
Pas de rosée, ce matin.
Je viendrai bientôt à Paris, avec en tête la musique du dernier Duster – le crépusculaire Together. J’écrirai bientôt sur cette nouvelle capsule émotionnelle. Durant mes promenades parisiennes, cette bande-son convoquée me servira surtout à admirer les toiles de Gallen-Kallela. Le musée Jacquemart-André réunit quelques toiles du Finlandais, des tableaux où le soleil rend une lumière unique. La neige et la nuit sont indissociables, les portraits se révèlent précis et troublants. Ce qu’il y a de beau dans les toiles de Gallen-Kallela, ce sont les métamorphoses de l’eau. L’eau sort grandiose de la boue, se mue en nuage, s’étale en neige. Dans ces transformations, il y a ce je-ne-sais-quoi mélancolique. On retrouve dans cette manière de peindre un arbre ou un large horizon, une foi naïve et terrible à la fois. Gallen-Kallela, retenons enfin, une fois pour toutes, ce sublime nom.
La grêle, à minuit.
L’inattendu de la semaine, c’est ce livre étrange sorti aux Presses du Réel en 2019. Hartung Nouvelle Vague. Convoquer l’abstraction d’Hartung face au réel envisagé de la nouvelle vague peut étonner. Pauline Mari façonne, avec minutie, les passerelles qui lient ce dandy-peintre aux oeuvres de Rohmer ou Clouzot. C’est vertigineux de replonger dans certains grands moments de l’histoire du cinéma récent et de voir l’influence muette de cet écorché de l’existence qu’est Hartung. Il y a pourtant chez Godard cette même fascination des paradoxes, d’une violence formelle irréductible. Ailleurs, on retrouve la passion Pascal commune à Rohmer et Hartung. Et on se laisse embarquer, au fil des pages. Cela – sans retenue.