Cité Lumière, groupe instrumental à cheval entre Joe Meek et Kraftwerk (via Telex, la library music et moult jolies choses) se produira mardi 10/07 au Supersonic. Nous les avions évoqués dans Mushroom à travers une chronique de leur surprenante cassette Le Songe de Kepler, et nous sommes aujourd’hui heureux de causer un peu avec Alexis Molenat, l’une des deux attachantes personnalités derrière ce projet. Avec Florian Chambonnière, (tous deux ex-Cavaliers, l’une des premières signatures Born Bad), ils nous racontent comment l’amour des synthés les a réunis à nouveau pour une nouvelle aventure aussi fantasque que réjouissante.
Comment est né Cité Lumière ? Qui se cache derrière ?
Derrière ces blouses se cachent Florian, et moi-même, Alexis, deux vieux compères avec pas mal de décibels au compteur ! Nous nous étions un peu perdus de vue après la fin des Cavaliers il y a 7 ans, bien qu’étant à Paris tous les deux… Je savais que Flo avait ensuite monté un truc avec sa copine de l’époque, et j’avais vaguement compris qu’il s’était acheté un ou deux claviers pour cela, mais sans pour autant me poser plus de questions que ça. Il a fallu attendre qu’une passion ardente pour les synthétiseurs ne me dévore il y a deux ans pour nous puissions nous retrouver sur ce thème !
Existe-t-il des liens entre la musique de Cité Lumière et celle des Cavaliers dans lesquels vous étiez tous les deux ?
Nous en voyons beaucoup… Déjà, nous faisons toujours les mêmes blagues depuis 15 ans, ce qui entretient une certaine constance. Plus sérieusement oui, comme par exemple le fait de composer de la musique instrumentale, choix qui s’est imposé très naturellement autant dans les Cavaliers que chez Cité Lumière. La musique instrumentale est un art à part entière. Au tout début, elle était un moyen pour les Cavaliers de livrer rapidement un set, et de palier au fait que personne ne savait chanter. On peut aussi parler d’une certaine radicalité de la musique surf, qui pour certains n’est et ne doit être qu’instrumentale. Depuis, je sais que pour Florian et moi, c’est devenu un véritable moyen de s’exprimer et de transmettre tout un tas d’émotions et un univers bien particulier. Ce lien « instrumental » est très fort, et nous permet de continuer et de faire évoluer en quelque sorte ce que nous avons commencé il y longtemps. En te parlant, je viens d’ailleurs de me rendre compte que je n’écoutais quasiment plus que de la musique instrumentale aujourd’hui…
Quelles sont vos influences principales sur ce projet ?
Je pense pour ma part – et je peux en parler au nom de Florian aussi – que c’est la nature même du son qui caractérise une œuvre, et qui la place émotionnellement dans une époque, un univers concret ou poétique. De fait, il est intéressant de penser que tu peux te rapprocher du son d’un artiste en essayant d’acheter le même genre de matériel, mais au final ça ne sonnera jamais pareil. Il y a donc une différence fondamentale et belle entre vouloir reproduire un « son » et reproduire le « style » d’un artiste.
Pour citer tout de même des noms (car on veut toujours des noms !) on aime bien Silicon Teens (l’un des nombreux projets de Daniel Miller de Mute, ndlr) pour leur mélange 50’s/électronique, Telex pour la sensibilité particulière qu’ils donnent à leurs morceaux pourtant électroniquement classiques, l’œuvre en général de Ryuchi Sakamoto en ce qui me concerne, Mort Garson, l’Exotica et le lounge 50’s/60’s de Les Baxter et consorts, la surf-music, toujours, la musique des jeux vidéo des 80’s/90’s et bien sûr, beaucoup de musiques de films.
Pour finir, j’ajoute que par album, nous fonctionnons aussi sous l’égide d’un « totem » : pour le premier LP Le Songe de Kepler, nous composions nos œuvres retro-futuristes sous le regard bienveillant de Joe Meek (producteur anglais indépendant des années soixante à l’origine du classique instrumental Telstar, ndlr). Pour le prochain, c’est désormais Korla Pandit qui nous surveille et qui nous guide vers des terrains plus mystérieux et fantastiques…
Envisagez vous Cité Lumière comme un projet uniquement instrumental ?
Oui complètement, et il y a peu de chances que cela change un jour. Les seules voix qui pourraient apparaître ne seraient là que pour agrémenter un univers ou signifier quelque chose de bien précis, mais point de musicalité.
Peux-tu nous dire un mot sur la cassette parue chez ERR Rec fin 2017 ?
C’est notre premier LP, Le Songe De Kepler, concocté en un an dans notre studio partagé, le Studio GDE (Gare De L’Est). C’est grâce à mon ami Bozan, qui m’a mis la puce à l’oreille l’été dernier, que nous avons contacté Gilles et Bolanile de ERR REC pour leur proposer notre premier essai. S’ensuit depuis une excellente entente, et nous sommes fiers de faire partie de leur catalogue… J’ai rarement vu un label aussi ambitieux, ce sont deux personnes en or et je leur souhaite beaucoup plus de reconnaissance. Tu devrais d’ailleurs les interviewer !
Je crois savoir qu’elle doit être rééditée en vinyle par un label anglais, où en est le projet ?
Tout à fait, tes sources sont bonnes ! Dom Martin de Polytechnic Youth (créateur de labels en série, à son actif aussi Great Pop Supplement, Deep Distance ou Feral Child, ndlr) a flashé sur notre LP sorti chez ERR REC, et nous a demandé très vite s’il pouvait le rééditer en vinyle. Nous n’avons bien évidemment pas réfléchi très longtemps, d’autant plus que c’est un label infatigable et génial que nous aimions déjà. Nous ne voulions pas juste une réédition du LP, et nous avons demandé à plusieurs synthfreaks du moment – qui seront dévoilés bientôt – de nous faire des remixes, et avons commandé une nouvelle pochette à Mathieu FreakCity que nous adorons. Tout ça a pris pas mal de temps, mais on en voit enfin le bout, on espère une sortie à la rentrée, si tout va bien.
Des nouveaux morceaux en cours ?
Nous sommes malheureusement beaucoup moins rapides en enregistrement qu’au début, car depuis la sortie de la K7, on a pas mal de concerts. Ce n’était absolument pas le cas l’année dernière, car ne savions même pas si nous allions pouvoir reproduire ce que l’on faisait sur scène ! Depuis, notre emploi du temps est partagé entre les répétitions et les sessions d’enregistrement… Ce qui nous attriste quand même pas mal, nous allons surement arrêter les concerts à la rentrée pour nous y remettre. Il y a juste un morceau dans la boîte, enregistré quasiment qu’au Roland Jupiter 4, une épopée exotica synthétique qui traite du Triangle des Bermudes !
Alexis, tu as composé quelques morceaux pour le projet « Espaces Urbains », peux-tu nous en dire un mot ? As-tu abordé la composition de manière différente que pour Cité Lumière ?
Les « Espaces Urbains » de ERR REC est un magnifique projet. La library music est un pan entier de la musique contemporaine qu’il est important d’honorer, et aussi parce que les artistes présents sur le disque ont fait preuve de beaucoup de générosité et d’inventivité pour donner à ce disque un statut d’œuvre complète, qui dépasse le stade de la simple compile. Plus personnellement, j’adore travailler sous la contrainte, et devoir composer un morceau avec un thème / matériel / temps donné me stimule énormément. Sinon, je dois dire que cette proposition est tombée pile à un moment où j’ai commencé à m’intéresser pas mal à des œuvres jouées au piano tel que Satie, Debussy et autres Sakamoto, ce qui m’a amené à cette couleur particulière et à une façon de jouer : une main gauche donnant des arpèges répétitifs, et un thème très léger et mélodique sur la main droite… Technique très peu présente sur le premier Cité Lumière, par exemple.
Sinon, le tout est enregistré chez moi, avec un Juno 6 (un polyphonique de Roland célèbre pour son chorus très chaud, ndlr), un Korg Ms10 (un monophonique, le petit frère du fameux MS20, avec un seul oscillateur, ndlr) et un RE201 (un Space Echo de Roland mythique, ndlr).
Quels sont les synthétiseurs, boîtes à rythmes favoris de votre arsenal, et pourquoi ?
Parmi les classiques Roland SH101 ou autres Juno 60 que nous utilisons régulièrement pour les basses ou les nappes, un synthé a changé beaucoup de choses, et il est désormais une signature de notre son : le Roland RS202, acquis un peu après la création du projet. C’est une string machine des 70’s (des synthétiseurs polyphoniques par division d’octave, ndlr), qui nous donne ce fameux aspect « Joe Meek » comme nous l’appelons ! Nous aimons aussi énormément le monophonique Teisco 60F qui sort aussi du lot, avec un son très nasillard et particulier que j’utilise pour les lead et qui est aussi un son signature de notre travail. Sinon, je pense rajouter pas mal de KORG MS-10 dans l’avenir.
En boites à rythme, nous sommes amoureux de la BOSS DR55, une petite drum portable du tout début des 80’s (une machine très utilisée dans la pop indépendante, notamment par les Cocteau Twins ou New Order à leurs débuts, ndlr) qui a une snare unique (caisse claire, ndlr), qui est déflagratrice dans un space echo ! Sinon, pour le live, on utilise notre KORG KR55 (utilisée par Depeche Mode ou Joe Jackson, ndlr), qui est aussi une drum de prédilection, car elle possède un groove dévastateur !
Les synthés que vous rêveriez d’avoir ?
Suite à la revente prochaine de notre Jupiter 4, on compte bien se payer un Roland SH7 : une grosse bécane des 70’s très lourde et coûteuse, et d’ailleurs j’attends encore que le vendeur ne réponde à mon message… en espérant qu’il lise cette interview ! Sinon, à brûle-pourpoint, on ne cracherait pas sur un ARP Odyssey ou un Roland RS505. Je lorgne également depuis un bout de temps sur une TR727 (variante assez rare, orientée percussion, de la fameuse TR707, boîte à rythmes mythique de la House, ndlr), qui ajouterait un peu de chaleur latine à certaines ambiances…
À quoi doit s’attendre quelqu’un qui ne vous a jamais vu en live ?
Il doit s’attendre à voir deux types en blouses plantés et concentrés devant un tas de synthés ! En tout cas, il assistera à quelque chose de fidèle à notre œuvre enregistrée, car nous ramenons quasiment tout le matériel qui a servi à composer et enregistrer l’album. Bien sûr, la prestation live présente toujours des différences, et certains morceaux sont modifiés, mais dans l’ensemble, il assistera à une messe analogique qui permet à la fois de suivre les mélodies et à la fois d’apprécier les textures sonores de tout ce matériel lourd et fragile.
Avez-vous préparé un set particulier pour Restons sérieux mardi soir ?
Tout les concerts sont un peu particuliers car il y a une petite place pour l’impro, et les imprévus sont souvent au rendez vous dans notre set. Mais on peut déjà vous dire qu’il y aura deux nouveaux morceaux, et qu’on a calmé un peu le bpm depuis notre premier live de 2017, où nous étions excités comme des puces, afin de laisser plus de place aux émotions.