Charles, Let’s Start A Family Tonight (Babe City Records)

Les grands artistes (1) ont un avantage indéniable sur le commun des mortels. Quand bien même on les détesterait – pour de bonnes ou de mauvaises raisons, là n’est pas la question -, il arrive souvent qu’on leur rende de curieux hommages, parfois même inconsciemment. Si Ariel Pink n’est crédité que sur quatre morceaux pour sa contribution à la basse  et à la guitare, on sent bien qu’il a inspiré très largement le disque de son ex, Charlotte Ercoli Coe. Certes, on l’entend pousser des hurlements sur The Offended Olympics (si ce n’est lui, c’est donc son frère) avec une ironie qui ne manque pas de piquant, Fallogentrismo ressemble étonnamment à The Bottom, Rex Harrison partage une partie du refrain de Kitchen Witch qu’elle avait par ailleurs coécrite. On retrouve aussi un goût pour l’ambivalence, le travestissement, un jeu sur l’identité masculine et féminine dont aime jouer le Californien. Mais surtout, il y a cette production typique, tissée dans le coton des rêves, qui a infusé depuis quinze ans la musique pop des artistes lo-fi de Los Angeles en premier lieu pour se répandre un peu partout.

Charles

Après ce préambule radotant mais qu’il serait ridicule de taire, il faut aussi admettre une seconde évidence : Charles a son charme propre. Pour commencer, Let’s Start A Family Tonight est bercé par une voix qui ne force jamais son naturel, avec cette douceur et cette sensualité dont on ne peut se lasser et qui collent des frissons à chaque écoute de Kitchen Witch et Feels Like Heaven. Sur ce deuxième album, la chanteuse tente de marier les contraires et compose toute une famille de nuances allant de la clarté éblouissante de tubes synth pop à des chansons plus expérimentales au surréalisme parfois sombre – comme en témoigne l’étonnant hommage conjoint à un ex amoureux et à l’acteur de My Fair Lady (Rex Harrison). Charles est à la fois la fille sage et l’effrontée, celle qui se souvient avec nostalgie ses premiers émois amoureux sur la délicieuse Remember Blushing et celle qui conseille au monde d’aller se faire foutre lorsqu’elle évoque les pressions qui pèsent sur sa vie sentimentale.

La candeur de The Courtesy Bath, Impudent Hussy, I Must Spread My Genes est surprenante, leur pop est de chambre et leurs confidences sont de celles qu’on fait habituellement dans l’intimité. Derrière les artifices sonores et l’humour, on sent très bien que la jeune femme ne triche pas. Dans toute sa spontanéité, elle a quelque chose de provocateur qui rappelle une forme d’innocence diabolique. Pour résumer Charlotte n’est pas de celles auxquelles on dit : Tu parles, Charles ! Elle a plein de choses à dire. Et sans fausse pudeur, elle sait comment les raconter. Après avoir inlassablement écouté le touchant Let’s Start A Family Tonight, on se dit qu’il lui manque très peu pour devenir un des classiques de notre époque, et on est très impatient de voir ce que nous réserve la suite.

(1) Si vous ne me croyez toujours pas, demandez plutôt à Simon Reynolds ou à Momus ce qu’ils pensent de notre savant fou.


Let’s Start A Family Tonight de Charles est disponible sur son Bandcamp et via Babe City Records.

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