À l’heure où plusieurs petits labels hexagonaux (Souffle Continu, Replica, Caméléon, Born Bad, Monster Melodies…) font revivre avec enchantement quelques-unes des plus belles perles de la France underground, c’est un label américain – Anthology Recordings – qui s’attaque à la réédition des premiers disques de Catherine Ribeiro et Alpes. C’est à un gros poisson auquel se confronte la filiale de Mexican Summer.
Un pilier, même, résultat de la rencontre d’une chanteuse à la beauté grave, aux textes durs, crus, parfois cruels, et d’un musicien, Patrice Moullet, luthier expérimental illuminé à l’allure renfrognée (et dont l’atelier occupe aujourd’hui les sous-sols de La Défense). Autour de ce noyau dur, une formation fluctuante, mais qui n’aura de cesse d’explorer les frontières entre chanson française, rock et recherches électro-acoustiques. Au long de la décennie soixante-dix, le collectif publie une dizaine d’albums et écume les festivals avec un certain succès critique. Il faut bien avouer que la formule avait tout pour faire mouche. Elle résonne dans le cœur des freaks, attirés à la fois par la pop music anglo-saxonne et la chanson à texte plus traditionnelle. Nous parlons ici d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaitre. Une époque où les termes « pop/populaire » s’amalgamaient facilement avec des considérations politiques, où le mode de vie (forcément communautaire, comme pour Gong ou Catharsis) constituait tout autant un terrain prospectif que la musique elle-même, où les textes voyaient rouge, et où il était de bon ton de faire références aux chansonniers et camarades de lutte internationaux / internationalistes. En ce sens, le propos de Ribeiro et Alpes parait de nos jours un peu daté. On peut également regretter que les studios français n’aient pas eu les moyens ni les compétences d’une personnalité visionnaire comme Conny Plank chez nos voisins d’outre-Rhin pour rendre justice aux superbes instrumentations de Patrice Moullet et des autres musiciens. Mais revenons-en à cette entreprise de réédition, en trois LP simples – N°2, Ame debout et Paix – ou joli coffret. On pourrait se demander pourquoi ne pas inclure dans ce projet le premier disque enregistré en 1969 sous un autre nom (sans doute pour des questions de droit) ou le cinquième qui est très bon également (sans doute superflu). Anthology Recordings a choisi une suite de trois albums qui permet de de s’attarder sur le début de la carrière de l’ensemble, avant qu’il ne sombre dans des développements rock un peu plus insignifiants. N°2, premier album sous le nom d’Alpes donc, propose des compositions encore imprégnées d’influences folk.
Il vaut surtout pour sa seconde face et la suite dantesque Poème non épique où Catherine interprète une femme sombrant dans la folie. Ame debout et Paix montrent la période où le duo Ribeiro / Moullet se stabilise autour des frères Lemoine, virant davantage dans le rock progressif ou vers la motorik. Sous cette forme canonique, Alpes révèle son meilleur visage : arpèges dissonants de Patrice Moullet, rythmiques du percuphone (corde de basse bricolée avec un petit moteur) et cliquetis de l’orgue, sur lequel surnagent les déclamations de Catherine Ribeiro. Adulé par les amateurs de free-folk et autres scènes de niches, ces rééditions confortent un statut déjà culte. La musique de Catherine Ribeiro et Alpes, hypnotique et pourtant libératrice, mérite d’être redécouverte car elle a assurément produit des impulsions poétiques d’un éclat rare.
Quel dommage en effet que le LP « Catherine Ribeiro + 2 Bis » ne soit pas inclus, il ne déparerait pas en termes de cohérence tant il montre la progression de la chanteuse et de Patrice Moullet dans la maîtrise du mûrissement de leur cri.