La France et la pop entretiennent une relation compliquée. Beaucoup de groupes d’ici n’eurent pas toujours le succès qu’ils méritaient, des Freluquets en passant par Tahiti 80, Aline ou Mehdi Zannad. La règle a bien sûr eu ses exceptions (Phoenix, Laurent Voulzy, Les Innocents etc…), et la situation est étonnamment positive ces derniers temps. L’Hexagone possède désormais une scène florissante et multiple (Biche, Pearl & The Oysters, Good Morning TV, En Attendant Ana, Lemon Swell, Requin Chagrin, Julien Gasc…) Parmi eux, figurent en bonne place Brace ! Brace !, une très jolie et prometteuse formation parisienne dont le premier album, après deux EPs, sort sur l’une des places fortes du garage français. S’il ne constitue pas la première incursion de Howlin’ Banana dans le registre pop (Gloria, Bootchy Temple, Soap Opera), il apporte (avec Th Da Freak) une orientation nouvelle au label, dans un registre plus contemporain, aux influences nord-américaines. La pochette, très réussie avec ses aplats de couleurs vives à la Roy Lichtenstein, donne le ton d’un disque mordant au titre portant le nom du groupe (c’est-à dire, certainement pas « éponyme »). La maîtrise du sujet pop de la formation fulmine dès la première chanson, mètre étalon du style complexe presque prog mais fluide des parisiens, fait de ruptures et cassures jamais gratuites. Si Station Walls semble se faire l’écho d’une vieille cassette analogique laissée à l’abandon pendant des décennies à travers une ligne synthétique hésitante et des artefacts de résolution, elle n’en dévoile pas moins une composition ambitieuse, à la production soignée (de Barth Bouveret), piquant à Homeshake comme à John Lennon une certaine nonchalance élégante. Après cette excellente ouverture, le groupe poursuit sa lancée d’une égale réussite avec quelques véritables fulgurances. La paire I’m A Jelly et Tease évoque positivement les contemporains américains Mild High Club et Mac De Marco, mais semble peut-être un poil classique face à la déferlante Club Dorothée. Une basse sinueuse post-punk contraste avec des guitares lumineuses. Elles accompagnent une composition aussi heurtée qu’efficace, à la beauté diaphane. Elle convoquerait presque, à son corps défendant, Field Music. Le choix du single envoyé en éclaireur (Whales) emprunte de sa force physique au dernier Unknown Mortal Orchestra, pourtant quelque chose de plus délicat s’en dégage, comme une construction gigogne se laissant découvrir progressivement.
Elle est immédiatement suivie d’un autre zénith du disque (Casual Fanciness), petite merveille au tempo relevé qui ne se départit pas de sa bizarrerie. Brace ! Brace ! explore aussi une certaine indolence, caresse vibrante, tout en conservant ce petit je-ne-sais-quoi si attachant (le beau duo On The Sidelines , Wobbly Legs). Indecision remonte dans les tours comme pour mieux préparer la chute : Ominous Man. Placée idéalement à la fin, cette chanson pourrait être le croisement entre Pavement et A Day In the Life des Beatles. Comment en effet ne pas entendre dans ce pont osé, dissonant et périlleux, l’influence du groupe britannique ? Loin d’être paralysant, ce petit clin d’œil apparaît naturel, une influence digérée, parmi d’autres, par le groupe. Il est au fond à l’image de la proposition des quatre Parisiens : un disque aux influences assumées (la scène indé américaine actuelle, la pop slacker 90’s, des groupes britanniques en B) mais conçu avec enthousiasme, aplomb et surtout talent, plaçant Brace ! Brace ! parmi les très belles surprises de cette rentrée.