Bill Callahan, Solo Residency

Bill Callahan au Café de la Danse à Paris / Photo : RP
Bill Callahan au Café de la Danse à Paris / Photo : RP

Alors que l’on décroche dans les rues parisiennes les derniers vestiges d’Olympiades qu’un leader hors-sol et désavoué peine à voir s’achever, Bill Callahan prend la Bastille pour deux soirs à l’approche de l’automne. Autant dire que la fête est terminée. Sur l’affiche de sa tournée européenne (Paris, Bruxelles, Dublin, Manchester et Londres), un simple mot d’ordre : Solo Residency. Soit un euphémisme de plus pour ce texan qui, même accompagné, semble toujours bien seul sur scène. Avec son allure de comptable – parfois déguisé en cowboy de pacotille – et son regard de serial killer, Callahan ne manque pourtant pas d’humour. Plutôt noir, l’humour. On le sait capable d’emmener son public au septième fiel… Cette fois au plus près de l’os, donc.

Remisant au placard son antique Martin 00 à cordes nylon (jouée et approuvée par Willie Nelson), son programme opte cette fois pour la strangulation électrique, Telecaster, tom basse jouée au pied et sampler bon marché à l’appui. Blues rachitique, country sans joie et folk répétitif délimitent un terrain (miné) de jeu où la plume et la voix de l’ex-Smog perpétuent l’héritage du bougon patron Lou Reed. Jouées telles qu’elles furent créées, ses chansons sous Alprazolam se débarbouillent au papier de verre dans un café qui, deux nuits durant, ne dansera pas beaucoup. En effet, contrairement à son comparse Will Oldham, la paternité ne semble pas avoir beaucoup apaisé le gars Bill. Qui, au détour d’un couplet, confiait en plein Covid que son couple – dix ans au compteur – ne tenait que parce que sa femme, elle, ne buvait pas. Glaçant. Aucune impression d’assister au retour d’un vieil alcoolique sur le déclin pour autant. Simplement, comme son pays à l’approche d’élections cruciales, le chanteur se débat dans une époque qui en manque cruellement (de débat). A cet égard comme à bien d’autres, la musique de Callahan colle à merveille à un air du temps pour le moins pollué : tout sauf un protest singer (genre qu’il exècre), notre homme préfère chercher le salut du côté de Johnny Cash (Pigeons) et Ry Cooder, qu’il salue d’une voix plus grave que jamais. Et si le bon vieux temps demeure un grenier où l’entre-soi peine à respirer autre chose que de la poussière, chacun pourra mesurer le chemin parcouru par cet Américain que l’on aura vu apprendre à écrire, jouer et chanter au fil des disques depuis quatre décennies. Le retour au versant abrupt de son œuvre semble ravir un public venu assister à leur messe païenne annuelle. A ce détail près que comme rien ne semble aller de soi dans cette réalité inversée (voir le titre de son dernier album studio), c’est ici l’officiant qui expose ses péchés au grand jour.

Construite dans un bois probablement trouvé à Blair Witch, la guitare hantée du Bill se tient désormais à distance respectable du lo-fi des débuts. De ces derniers, seul demeure un certain malaise, comme une inaptitude larvée à être au monde en paix. Et son public, un brin malsain sur ce coup, de s’en repaître. Comme à un concert fantasmé du Velvet Underground (que l’on ne connaît que par disques interposés), il se joue ici sur scène quelque chose de violent, de cruel. Et ce sentiment particulier, empreint de voyeurisme peut-être, d’en jouir. « Que jouissons-nous du texte ? » interrogeait Roland Barthes. Ou, pour élargir notre affaire, quelle relation Callahan entretient-il avec la littérature ? Quid de l’influence de Philip Roth, Raymond Carver ou William Faulkner dans ses chansons ? Tout semble ici musicalement construit pour mettre en valeur un propos. Mais de ses goûts littéraires, Callahan ne pipe mot sinon ce laconique « I can see myself in the books I read ». Tel un journaliste en investigation, il ne révèle pas ses sources. A chacun de se démerder avec ses disques, ses concerts, sa vision du monde. Pour l’explication de texte, merci de repasser.

A contrario de la posture statique du bonhomme sur planches, sa langue s’affirme mouvante, entre galerie de portraits au scalpel et situationnisme au chausse-pied, langues de bois et de pute mêlées. On pourra le trouver sarcastique, désabusé ou lucide selon sa propre humeur. Pour autant l’homme ne fournit aucun mode d’emploi. Ne suit aucune règle de bienséance. Néglige ses meilleurs morceaux (difficile de parler de tubes dans le cas présent) au profit d’autres, plus sombres. Il est à la fois l’artiste et son propre garde du corps. Le bourreau et sa victime, en quelque sorte. Et, avant tout, un foutu musicien. Du genre métronomique, chirurgical. Né trop tard pour Alan Lomax et le Grand Ole Opry, mais la même année que l’enregistrement du premier Velvet tout de même. Manière de dire que s’il est parfois question dans son répertoire de musique d’obédience rurale, celle-ci sera jouée avec une raideur bien urbaine. Aussi crédible en cowboy moderne que Clint Eastwood en pionnier de l’espace, Bill Callahan demeure l’homme d’un seul rôle. Personnage neurasthénique et distant, maladroit charmeur de serpent à sonnette. Ou, géographiquement parlant, un petit gars du Maryland expatrié sous le soleil du Texas.

A mesure que les chansons défilent, on se dit que ces instants devraient être immortalisés sur pellicule. Et, tant qu’à rêver tout haut, que ce soit Alfred Hitchcock et Stanley Kubrick qui s’y collent, tant Callahan a de faux airs d’un Norman Bates ayant trouvé un nouveau boulot à l’Overlook Hotel. Il faut en effet voir son visage se tordre pour y croire : ce type ne fait jamais semblant d’habiter ses œuvres. Il parait au contraire revivre chaque soir sur scène la même situation relative à tel ou tel morceau. Exercice qui, semble-t-il, lui coûte cher – comme dévoré par son propre Shining, sa propre Psychose. Déchirant sur It’s Our Anniversary, Kill Bill distille un spleen qui n’a rien de baudelairien. Au sens étymologique du terme, il s’agit bien là d’un concert de blues interprété la gorge nouée. Dans le même état une heure et des poussières plus tard, c’est un public abasourdi qui tente de se frayer un chemin dans une tout autre ambiance, celle festive de la rue de Lappe. Et il faudra bien toute la nuit suivante pour retrouver ses esprits et torcher ces quelques lignes en guise de remerciement au grand Bill Callahan.


Bill Callahan, Solo Residency s’est tenue au Café de la Danse à Paris le 17 et 18 Septembre 2024. Resuscitate! est sorti fin juillet chez Drag City.

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