Avec le temps, le dandy britannique Baxter Dury a appris à se méfier des journalistes, même des plus bienveillants à son égard. Si de ce côté-ci de la Manche, personne ne fait vraiment attention à la figure du père Ian Dury, dans son pays Baxter Dury reste le “fils de”. Son parcours au long cours, fort de six albums depuis 2002 et d’un livre au titre français mais uniquement disponible en langue anglaise, Chaise Longue, présenté par son éditeur comme autobiographique, en impose désormais sérieusement face à celui du caricaturiste du mode de vie Sex & Drugs & Rock & Roll finalement incapable de surmonter le succès.
En cette fin du mois de novembre, Baxter Dury semblait comme à son habitude détendu dans la salle de cinéma du Palais de Tokyo. Le bâtiment accueillait l’enregistrement d’une nouvelle édition d’Echoes, l’émission télévisée d’Arte, présentée par Jehnny Beth, découverte en tant que chanteuse de Savages, qui devrait être diffusée en mars. Également à l’affiche avant lui, les jeunes New-Yorkais de Geese et la nouvelle sensation anglaise Wet Leg, qui appréciera la prestation de son compatriote devenu référence. Il est loin le temps du premier album Len’s Parrot Memorial Lift (2002) au casting impeccable : enregistré avec Geoff Barrow de Portishead et Beak>, aidé du noyau dur du groupe, de musiciens de Primal Scream et Spiritualized, Norman Watt-Roy, bassiste de The Blockheads et héros oublié du The Magnificent Seven de The Clash, et Richard Hawley alors guitariste de Pulp. Pourtant enfant de la balle, Baxter Dury avouait en interview avoir eu longtemps peur de faire écouter ses chansons à des professionnels de la profession.
Un Best Of après six albums en vingt ans ça se comprend, mais une autobiographie Chaise longue publiée cet été (ndlr : par Corsair, division de Little Brown, et pas traduite en français) avant d’avoir cinquante ans (ndlr : il est né le 18 décembre 1971) c’est plus surprenant non ?
J’avais juste pensé que c’était une bonne idée quand un éditeur m’a proposé d’écrire un livre il y a de ça plusieurs années et j’ai signé un contrat sans vraiment avoir l’intention de m’y mettre parce que je suis un peu fuyant. Mais ensuite, au printemps 2020, il y a eu le confinement dû au COVID, je n’avais rien d’autre à faire alors j’ai écrit ce livre. Je m’en suis plutôt bien sorti au point d’être assez fier de moi.
Sur la compilation rétrospective Mr. Maserati – Best Of Baxter Dury 2001-2021 (en référence aux paroles de Miami : “I’m the night chef/The eye doctor/Mr. Maserati”) il y a quand même un inédit, D.O.A, enregistré pendant cette période de confinement avec votre fils, Cosmo Dury (ndlr : né en 2002).
Nous étions ensemble tous les deux pendant le confinement. C’est encore un jeune homme, qui écoute un genre de musique différent de mes habitudes, et c’était une belle découverte. Il n’était pas forcément enthousiaste pour enregistrer D.O.A avec moi, il n’a pas comme but ultime d’enregistrer sa propre musique et de la commercialiser, encore moins de le faire avec son vieux père… C’est plutôt bon signe qu’il manifeste ainsi son indépendance d’esprit et ne veuille pas forcément reprendre l’affaire familiale… (ndlr : pour rappel, Baxter est le fils de Ian Dury, chanteur à succès improbable avec son groupe The Blockheads au tournant des années 1970-1980 et décédé en 2000.) C’est un garçon prudent et intelligent. Et j’ai plutôt volé sa musique que vraiment cherché à collaborer. Oui, c’était plutôt du vol, mais dans un registre très compliqué, il n’est pas du genre à se laisser facilement manipuler. Ce n’était pas non plus la meilleure des périodes pour lui, bloqué à la maison avec moi alors qu’il devrait pouvoir sortir avec ses amis.
Le prénom de votre fils est-il vraiment Cosmo sur son passeport ?
Oui c’est bien son prénom, en hommage à quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi, Kosmo Vinyl (ndlr : le tour manager de The Clash), même si ce n’était bien sûr pas son vrai nom, et qui est heureusement toujours vivant et en forme.
Pourriez-vous prolonger l’expérience pour un futur album (ndlr : à l’instar du musicien néo-zélandais Connan Mockasin avec son père l’an dernier It’s Just Wind d’Ade & Connan Mockasin) avec lui ?
Je ne crois pas, ça me paraît compliqué, il n’envisage pas forcément de faire de la musique plus tard.
C’est intéressant que vous parliez ainsi de votre fils, qui est encore un “teenager”, parce que dans votre autobiographie, qui ne couvre que la période de votre jeunesse jusqu’au milieu des années 1990, donc avant que vous ne commenciez à faire de la musique et à chanter, vous vous cherchez y compris au niveau professionnel sans jamais envisager suivre les traces de votre père Ian Dury.
Notre relation avec mon père était différente, j’ai essayé de la raconter dans le livre. Pour le meilleur et pour le pire, je ne ressemble pas à mon père au même âge, et l’adolescent Cosmo ne ressemble pas à celui que j’étais. Nous changeons tous, parfois en bien parfois en mal, c’est ainsi. Mais les circonstances sont différentes autour d’un schéma a priori semblable avec un amour commun immense pour la musique, sauf que Cosmo n’est pas du tout intéressé par la célébrité. Pour donner une idée de la relation que j’ai pu avoir avec mon père, si vous connaissez la série télévisée Succession, alors vous pouvez comprendre de quoi je parle.
Hors deux apartés plus tardifs jusqu’en l’an 2000, le livre se termine en 1995, avant vos vingt-quatre ans. Vous avez travaillé ensuite comme assistant sur des films, à la télévision et pour des vidéoclips dans la seconde moitié des années 1990 mais impossible d’en retrouver une trace sur les sites internet habituels…
J’ai surtout gagné ma vie grâce à mon travail sur des vidéoclips pop sans aucun intérêt et donc pas la peine d’en parler, il n’y a aucun mystère là-dedans.
Mais avant d’être signé comme artiste par Geoff Travis sur son label Rough Trade au début des années 2000, vous aviez déjà obtenu un contrat d’édition musicale de la part d’une grosse maison de disques, Island. Comment un simple assistant sur des vidéoclips, en situation professionnelle précaire, se retrouve-t-il ainsi sollicité ?
J’étais le fils de mon père, Ian Dury, une figure déjà reconnue de l’industrie musicale même si morte et disparue, dans le sens de “passé de mode”, et j’ai su manipuler à mon profit ce statut a priori inconfortable. Et l’industrie musicale était encore assez riche à l’époque pour se permettre de parier, sans aucune garantie de retour sur investissement, sur le fils d’une célébrité. Est-ce que je méritais pareille attention ? Sans doute que non. Mais avec le recul, j’ai dépensé l’argent qui m’avait été offert pour apprendre à enregistrer un disque donc cela a quand même finalement été utile, sans forcément être payé en retour à mon premier bienfaiteur.
Jarvis Cocker est un de vos proches. Il vous admire en tant que musicien alors que vous-même êtes impressionné par la capacité de votre fils à produire de la musique et auriez tendance à vous définir avant tout comme parolier. Mais n’êtes-vous pas un auteur-compositeur à part entière y compris d’un point de vue musical ?
Jarvis a vraiment dit ça ? C’est très aimable de sa part. Mais je n’ai pas besoin de quelqu’un d’autre pour enregistrer des chansons, j’aime enregistrer avec les autres, ce n’est pas du tout pareil. Et il n’y a de toute façon pas de règles à suivre.
Qui a choisi les chansons qui figurent sur Mr. Maserati ?
Moi, ça m’a pris en tout et pour tout deux minutes. Il n’y a pas eu d’énorme réflexion ou je ne sais quoi, y compris pour l’ordre des morceaux. Comme j’écrivais un livre, il n’y aurait pas de nouvelle musique de ma part à sortir et c’était donc le bon moment pour sortir une compilation, tant pis si ça semble cynique, voire affreux de ma part de réagir ainsi, je m’en fous. Avec l’écoute de la musique en numérique, tout le monde peut décider de son propre Best Of, donc la maison de disques se concentre sur la vente de l’objet physique, en particulier en vinyle, et au risque de refroidir l’atmosphère, je ne partage pas cette tendance à la fétichisation de la part des collectionneurs. Sans vouloir être vraiment négatif à ce sujet, écouter de la musique en vinyle n’est rien d’autre qu’une distraction pour éviter d’écouter de la musique récente, un rituel semblable à la pêche à la ligne, voire un sport nostalgique essentiellement pratiqué par de vieilles personnes.
Mais vous-même êtes-vous toujours friand de de nouveautés musicales ?
Je n’achète pas beaucoup de disques, parce que souvent je ne les sors même pas de leurs pochettes, alors…
Après vingt ans de musique enregistrée et un premier livre, pourquoi pas le cinéma ?
Il y a un projet d’adaptation télévisée du livre, avec une première version d’écrite mais ça n’était pas satisfaisant donc nous travaillons actuellement sur une nouvelle version. Ce n’est pas quelque chose qui se fait rapidement. J’ai aussi déjà été sollicité pour autre livre mais je l’envisage d’un point de vue philosophique. Je ne souhaite pas m’épancher sur la vraie vie, ma famille, mon fils… C’est trop intime.
Votre fils Cosmo a-t-il lu Chaise Longue ?
Non il ne l’a pas lu. Il s’en cogne complètement. Mais ma sœur a lu le livre et elle était furieuse (ndlr : sa sœur aînée, figure de la danse contemporaine, semble pourtant épargnée dans un livre qui aurait pu virer au règlement de comptes intra-familial, entre père envahissant et mère au destin tragique). Peut-être l’était-elle simplement parce que je l’ai écrit ou bien parce que j’y propose une version trop éloignée de la réalité. Il faut dire aussi que dans un documentaire à propos de mon père, elle avait été coupée au montage. Pour avoir grandi dans une atmosphère familiale dominée par le rock au masculin, dans un monde où les hommes en général dominent les femmes, elle peut donc estimer que mon point de vue est sexiste, peut-être à juste titre… Je ne sais pas exactement pourquoi mais le résultat ne lui a pas plu du tout. C’est normal que ça arrive quand les membres d’une famille peuvent s’exprimer.
Dans votre livre, il y a un éclairage sur la vie familiale mais pas seulement, il est question de personnes proches au gré des époques. Avez-vous eu des réactions de leur part ?
J’ai envoyé le livre à certains de mes copains mais comme ils ne savent toujours pas lire…
Vous faites de l’humour mais vous racontez quand même pas mal de choses précises, des faits (“facts” en anglais) détaillés, dans le livre sur les uns et les autres…
Je ne suis pas journaliste. Le livre que j’ai écrit n’est pas un livre de journaliste. Les faits précis ne m’intéressent pas. D’ailleurs comment savez-vous que ce sont des faits ? Vous étiez là quand c’est arrivé ?
Non bien sûr. Mais vous les racontez dans le livre de telle façon que le lecteur y croit.
Merci mais vous croyez donc tout ce qui est écrit ? Tant mieux si vous y avez cru totalement. Mais je peux très bien avoir menti, ce sont des souvenirs surgis des limbes, comme dans le brouillard. Je ne me rappelle pas quel âge nous avions exactement, si untel avait vraiment un couteau ou pas, je ne peux pas me souvenir de tous les détails. J’ai juste essayé d’en donner une version qui fonctionne comme histoire, sinon vous lisez des archives et pour ma part, je voulais arriver à une histoire cohérente. Elle est sans doute discutable, et peut-être que ma sœur en a une autre version que la mienne, mais je n’ai pas voulu m’inquiéter de ce que les autres protagonistes pourraient en penser. Mon éditeur a fait relire le livre par un avocat spécialisé : nous avons dû changer trente-deux noms pour ne pas risquer de poursuites légales et j’ai dû censurer pas mal de choses ou bien réécrire pour assurer la cohérence du récit. J’ai malgré tout essayé d’être honnête, de m’approcher au plus près de ce qui avait eu lieu et c’est sans doute pour ça que c’est drôle plutôt que triste. Tout est dans la façon de le raconter. Je me sens mieux maintenant par comparaison avec la période juste avant l’écriture où je pensais que ça allait être problématique d’avoir à revenir là-dessus. J’ai pu l’écrire et surmonter le problème que j’avais donc c’est déjà assez incroyable. J’ai eu des parents formidables et j’ai eu beaucoup de chance parce que j’ai parfois pris des risques inconsidérés. Ma plus grande séquelle de ma jeunesse parfois compliquée, c’est de ne pas avoir un bon sommeil. Je dors toujours dans un coin du lit comme pour mieux être prêt à m’enfuir. Ce titre de Chaise Longue a un sens pour qui a lu le livre, mais d’après ce que vous me dites il n’a pas la même signification en anglais et dans votre langue, avec une idée de confort et de farniente en français, franchement absente dans ce que je raconte dans le livre, au point d’avoir semblé un titre tout indiqué.
La France est sans doute le pays étranger où vous êtes le plus populaire depuis le succès de votre troisième album Happy Soup en 2011. Votre éditeur (ndlr : propriété du groupe hexagonal Lagardère) n’envisage pas de traduction française ?
Je ne sais pas trop si c’est prévu mais j’aimerais beaucoup que ça se fasse !
Votre dernier album en date, The Night Chancers, est sorti le 20 mars 2020, pas vraiment la meilleure des dates pour une tournée à suivre. Avez-vous ça en tête alors que vous devrez en sortir un autre dans le futur ?
Je m’en fous, ça ne sert à rien de se lamenter sur son destin d’artiste. Et si ça permet de briser la routine entre album et tournée pour écrire un livre, c’est peut-être mieux ainsi.
Pour réussir un tel premier livre, il est permis de se demander si vous êtes un grand lecteur.
Il y a des hauts et des bas, ça dépend des périodes. J’ai des problèmes d’attention. L’attention a tendance à diminuer dans le monde moderne, vous regardez votre téléphone portable et vous avez la tentation de vous laisser distraire. Donc j’ai des phases intenses de lecture mais qui sont exclusives sans autre activité. Madelaine (ndlr : Hart, membre de son groupe, et voix féminine qui l’accompagne jusque sur scène, justement en train de lire à à proximité) est capable de passer d’une activité à l’autre et de se concentrer sur la lecture en attendant de jouer pour une émission de télévision, alors que moi je me disperse.