Soy Tonto!, proclamait-il déjà haut il y a bientôt treize ans sur l’un des titres de son deuxième album, Blink Of A Nihilist (2007). Nul besoin, en effet, de posséder un diplôme de troisième cycle en psychologie pour comprendre qu’il règne encore et toujours une agitation inhabituelle sous le chapeau melon de Brian Christinzio. Sa biographie officielle n’en a d’ailleurs jamais fait mystère en évoquant régulièrement quelques séjours en établissements spécialisés. Et pourtant, l’admiration que suscite une fois de plus l’homme-orchestre qui se dissimule derrière le pseudonyme de B.C. Camplight n’a pas grand-chose à voir avec la fascination un peu malsaine qu’entretiennent la plupart des autres grands givrés de l’histoire de la pop – de Roky Erickson à Daniel Johnston, la liste est longue. Nulle trace ici de délire paranoïaque ou d’exposition obscène de pathologies psychotiques. Il s’agit plutôt d’une folie douce, d’une fantaisie extrême et non dénuée d’humour.
Pour Christinzio, écriture et arrangements permettent surtout de partager le plaisir communicatif et faussement naïf qu’il éprouve à manier les matières sonores et verbales, avant que de constituer les supports d’une thérapie personnelle. C’est une fois encore le cas pour ce qu’il présente comme l’ultime volet d’une trilogie mancunienne, entamée en 2015 avec How To Die In The North, et consacré aux ultimes péripéties de son exil en terres britanniques. Le songwriter originaire de Philadelphie y évoque, pêle-mêle, son retour en Europe après en avoir été expulsé et le choc en retour émotionnel consécutif au décès de son père.
L’humour et les pop songs font rarement bon ménage : quoi de pire pour ruiner l’effet comique d’une boutade que de la répéter trois ou quatre fois à chaque refrain. Christinzio possède pourtant un sens très singulier de la punchline imparable et de l’ironie bien sentie qui tempère avec pertinence la pesanteur macabre des thèmes personnels qu’il aborde sans fausses-pudeurs. Dans Ghosthunting, l’un des nombreux points culminants d’un album en haute altitude, il évoque ainsi une conversation autour de la tombe encore fraîche de son père : « At the funeral, my cousin, he asked me in small talk : ‘are you making people dance ? ‘ I said : ‘sure ! ‘ and I thought to myself : ‘ who does he think I am, Tame Impala ?’ « Si l’on ajoute à cela un don certain pour dénicher des titres d’anthologie – I Only Drink When I’m Drunk, d’emblée, quel coup de génie – tous les éléments sont réunis pour faire de BC Camplight un parolier digne d’admiration. Pourtant, c’est encore sa maîtrise parfaite des climats musicaux et des arrangements qui impressionne ici davantage. Dans un halo brumeux dont les gouttelettes électroniques et les échos parfois à la limite de la dissonance semblent envelopper l’ensemble des chansons, il s’y entend pour faire surgir soudain de brèves fulgurances harmoniques radieuses qui dissipent pour quelques instants la grisaille. Alternant entre pleins et déliés, il se plait à porter les tensions à leur comble pour mieux les déjouer ensuite. C’est ainsi que fonctionne le merveilleux Back To Work où, au terme d’un couplet susurré d’une voix d’ange et où l’image de sa mère se superpose – on préfère ne pas trop savoir pourquoi – aux personnages et aux bribes de dialogues surgis de Piège de Cristal, un refrain chaotique et difforme fissure le verni onirique. La dépression, le rire et la beauté s’entremêlent ainsi, sans qu’aucun des trois ne l’emporte de manière définitive : on ne peut que se réjouir qu’un album ressemble à ce point à la vie.