Initialement publiée en cassette début avril (et déjà épuisée), la compilation ERR REC Library Vol. 1 Espaces Urbains sera prochainement éditée sous forme de vinyle à travers une souscription auprès du label. Une occasion idéale pour évoquer un très beau projet. Conçue à l’initiative de Gilles Maté, âme d’ERR REC, aux cotés de sa femme Bolanile Maté (graphiste de l’ensemble des pochettes), la sélection est un hommage adroit à la fameuse musique au kilomètre conçue dans les studios professionnels du monde entier pour accompagner les images animées du petit et grand écran. Ces mélodies fonctionnelles ont, depuis plusieurs décennies, acquis une valeur propre, détachée de leur qualité initiale de remplissage. Nous pensons ainsi aux récentes compilations de Born Bad consacrées à Bernard Estardy ou au Studio Ganaro (Roger Roger, Nino Nardini, etc.), preuves supplémentaires de l’intérêt pour l’étrange beauté et la liberté de ces vignettes aux noms souvent descriptifs (Cosmic Bass, Claviers Ivres, Burlesque Party…). À une échelle peut-être moindre que la musique de film, la library music a déchaîné l’imaginaire des compositeurs dans les années 1990-2000, devenant une source intarissable de samples. Le projet était donc un peu casse-cou : rendre hommage à une musique destinée à ne pas être mise en avant, comme une tentative de retrouver des sensations, sans non plus marquer à la culotte les originaux, au risque de renchérir jusqu’au pastiche. Des lors, nous pouvons affirmer qu’Espaces Urbains s’en sort merveilleusement bien. Loin d’être paralysée par l’objectif, la fine équipe réunie autour du label francilien explore les méandres du genre, tout en s’autorisant quelques hardiesses. Le cahier des charges est respecté; les morceaux sont instrumentaux, courts et figuratifs, prêts à l’emploi pour illustrer des scènes de vie citadine, du RER à La Défense… Cependant, chaque membre y inscrit en filigrane sa propre sensibilité. Derrière chaque pseudonyme aux consonances typiquement seventies (Gianni Moretto, Pierric Gildas, Etienne Valino…), se cachent des musiciens de l’entourage, plus ou moins direct, de Gilles Maté. La famille élargie Forever Pavot fournit plusieurs contributeurs, notamment des musiciens de Cité Lumière, Domotic ou le magnifique projet Ojard. Au delà du réjouissant jeu de pistes auquel nous vous laisserons participer, l’usage des pseudonymes permet à ces compositeurs de s’autoriser une parenthèse enchantée dans leurs discographies respectives. Chacun d’entre eux étant aussi un amoureux de la library, cette dernière est approchée avec tendresse et délicatesse. L’ensemble a fière allure et vaut certainement plus que ses parties respectives tant les contributeurs semblent avoir été inspirés et amusés par le concept. Gare de l’Est d’Antonin Fortin est une plongée mélancolique dans un Paris fantasmé aux parfums d’épices et aux couleurs sépia, le long d’un motif répétitif et hypnotique. Pierric Gildas nous amène à travers Montmartre grâce à un Funiculaire Amoureux se faisant menaçant puis réconfortant. Détroit d’Etienne Valino est-il un hommage à l’actuelle ville post-moderne ou à la musique électronique qui en fut la bande son il y a trente ans ? La ligne de basse de Critérium de Bernold Delgoda rythme les déambulation d’un flic à la recherche de son indic’ dans les bas-fonds louches et mal éclairés. Les Bateaux-Mouches (Pierric Gildas et Madeleine Byblos) voguent sur la Seine, une journée ensoleillée de printemps autour de délicates volutes de guitares légèrement bossa nova. De vives impressions se succèdent ainsi sur ERR REC Library Vol. 1 Espaces Urbains, comme autant de vignettes attachantes dont la beauté peut nous toucher, que nous soyons mordus de library music ou non.