« Trop de ressentiment,
ça détruit les sentiments »
Dans le département documentation de Section 26, on commence à avoir des dossiers. En 2019, j’écrivais à propos d’un homme-orchestre aperçu et apprécié au Diamant d’or de Strasbourg, et de sa démo en CDR glanée à la fin de son concert : « C’est l’état que je préfère de notre chanson française, directe, un peu frime, un peu déprimée : avec quelques mélodies inoubliables, assez pour nous faire espérer une suite, que ce soit pour de vrai en studio, en concert aussi, où la belle présence de ce jeune homme à moustache (et au mulet naissant) apaise. » Je ne sais pas s’il porte encore la moustache et le mulet, mais Antonio Emmanuel, connu sous le nom Danse avec les Shlags (qui est entre-temps devenu le titre de ce disque, capito ?), et ex clavier du Villejuif Underground revient, et de belle manière.
Les belles mélodies sont là, et le travail de studio (prophétie auto réalisatrice, donc), sous la responsabilité de Jacques Le Honsec (ex Goûts de Luxe, groupe culte, auteur de tubes comme Les yeux de Laura ou Omaha Beach) accentue cette sensation trouble de désorientation temporelle. Avec des arrangements synthétiques et vaporeux, une légère sensation funky, les six titres sont super attachants, développant à la fois une sorte de proximité immédiate et de distance floue, comme un mirage tremblotant au bout d’une plage vide. J’aime y entendre des descendances : du Arnold Turboust (cette voix un peu blanche et si transparente) de Let’s Go à Goa en plus mélancolique, des chansons synthétiques composées au kilomètre pour toutes les séries de B à Z dans les années 1980.
Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un pastiche par un énième clown en jogging portant des lunettes dorées et filmé en VHS, rejouant en boucle une époque qu’il n’a pas vécue. La réalité est celle de maintenant, moins de bling, plus de schlaguitude, pas de strass, pas de paillettes ni de gourmettes en argent : au programme des textes, des plans lose, des interrogations existentielles, des histoires de pannes de voiture, des amours dans le décor. Toujours avec un humour gentiment distant, capable de chantonner des trucs du genre : « terrorist of love, t’as des pièges dans le cœur« , ou « aussi sale qu’une guerre au temps de l’OTAN » sans trembler, avec cette politesse du désespoir, bien dosée, toujours bien classe. Hâte de revoir Antonio sur les planches, accompagné, dit-on, d’un nouveau super groupe.