Aucun doute, c’est une américaine. Alexandra Savior porte en elle les grands espaces, les canyons et les précipices, ceux d’une femme qui déambule dans son histoire accompagnée des fantômes d’un passé proche et lointain, en vrac, les westerns spaghetti des années soixante-dix, Bang Bang de Nancy Sinatra, Maria avec et sans rien de Joan Didion, les filles en noir et blanc des films de Russ Meyer, les paysages arides de Paris Texas, la combinaison jaune de Uma Thurman dans Kill Bill.
Les chansons, dont l’apparente simplicité masque à peine l’exigence, creusent le sillon d’une émotion qui oscille entre la nostalgie et la modernité, qu’il s’agisse de l’ouverture classique et élégiaque que propose Soft Currents ou des élans plus vertigineux de Saving Grace ou de Crying all the time, ballade cinématographique et crépusculaire d’une fille qui voudrait sauver sa peau. La voix est scintillante, pop et légère, et pourtant on est vite happé par une gravité très littéraire, parce que chanter l’amour c’est toujours en écrire l’histoire, une histoire dangereuse comme l’assume le splendide Howl, morceau envoûtant à la mécanique implacable. Certains auront peut-être l’impression de retrouver un terrain connu, celui des premiers moments de Lana Del Rey, cette nonchalance à peine feinte des filles qui savent ce que veut dire la sexytude, autrement dit le point d’équilibre entre la désinvolture et l’assurance, l’envie d’en découdre en sachant à l’avance que la partie est déjà gagnée. Ainsi, quand arrive l’ultime morceau, celui qui donne son titre à l’album, on est surpris et captivé tant Savior nous a pris par la main, l’air de rien, avec délicatesse pour nous mener exactement là où elle le voulait. La flèche est décochée, The Archer nous a eu en plein cœur. Et puis c’est la beauté mélancolique du soleil qui se couche sur la vallée, la tempête calme d’une amoureuse triste, le désir d’un corps qu’on frôle en rêve après l’avoir perdu, et c’est alors que la nuit peut venir, les yeux se ferment et l’amour nous quitte, nous reprend et nous laisse pantelant, accroché à l’élégante douceur de cette chanson parfaite.
En dix titres, dix cartes postales sensuelles et suivies, Savior laisse entrevoir un éblouissant portrait, celui d’une femme qui sonde ses ténèbres pour les exposer en pleine lumière. En langage photographique, une révélation.