Il y a des disques dont on se souvient précisément de leur achat. Et Sulk est de ceux-là. Avec Gilles et Laurent, un samedi après-midi à la FNAC Montparnasse, dans le bac imports. La pochette luxuriante et les deux éminences en noir des Associates qui posent comme si de rien n’était, Billy McKenzie, glamour jusqu’au bout des ongles et voix qui ensorcelle, et Alan Rankine, homme de l’ombre qui attire la lumière et architecte sonore de cette pop OVNI, faite de soie, d’échos, de bulles multicolores et de recoins plus sombres.
Comme souvent alors – le début des années 1980 -, l’achat est lié à l’apparition dans le petit écran du groupe en train de mimer cet opéra pop haïku, Club Country, avec entre autres le bassiste Michael Dempsey et la divine Martha Ladly… – on ne savait pas encore qu’elle s’était échappée de Martha And The Muffins, ni même qu’à la ville, elle était Madame Saville. Ce disque vraiment pas comme les autres ne se laissait pas apprivoiser aussi facilement que certains, entre expérimentations avant-gardistes et évidences mélodiques, mais il avait fait de McKenzie et Rankine des personnages importants de nos discussions à bâtons rompus.
Après son départ de The Associates, on a suivi la trace de ce dernier. Producteur d’artistes chers à nos cœurs (The Pale Fountains pour Palm Of My Hand, Cocteau Twins pour Peppermint Pig), il s’est retrouvé ensuite sur un de nos labels fétiches, Les Disques du Crépuscule (ce nom parfait, déjà), en solo ou aux côtés de Paul Haig, Anna Domino ou Winston Tong – car c’est lui qui met entre autres en sons « la chanson la plus triste du monde », Reports From The Heart. Et la tristesse depuis hier, elle est donc liée à la disparition de celui qui, devenu enseignant au Stow College de Glasgow, a aussi mis le pied a l’étrier à un jeune groupe du coin, Belle & Sebastian, en l’accompagnant dans la réalisation de son premier album, Tigermilk…
Alors, c’est le jamais deux sans trois qui fait encore des siennes : après les départs trop précipités de Terry Hall et Martin Duffy en sale fin d’année dernière, le décès d’Alan Rankine, à l’âge de 64 ans, confirme cette amère sensation que l’on s’acharne à gommer notre adolescence et donne la désagréable impression que Le Monde Commence à Faire son Âge.