Ce matin j’avais prévu de rassembler dès potron minet John Milton, Dante Alighieri, Robert Smith et Jean-Paul Sartre, puis de convoquer Jay Mascis pour qu’il nous napalme tout ça à grand renfort de Fender Jazzmaster. Finalement il n’en sera rien, et la faute en incombe à Xavier Mazure. Ce matin (pour ceux que les arrière-cuisines intéressent, j’essaie d’avoir un jour d’avance sur la mise en ligne et d’écrire de 6 à 8 heures. Ensuite les gamins déboulent et entament plein pot leur entreprise de déforestation de ma quiétude. Je me vois obligé de hausser le ton et bâcler la fin. Voilà, vous savez tout), ce mardi matin 31 mars à 5.55 donc, je prends connaissance du I Like To Stay Home #12 publié la veille. Le volume 1 de En Attendant La Reprise était déjà remarquable, que dire alors du 2, plus aventureux encore ?
Il est parsemé de balises solides (Big Black ou Saint Etienne), de curiosités tendrement perverses (Momus troussant Mylène Farmer), de all-time favourites (Yo La Tengo bottant le cul de Sun Ra ou – c’était une autre option, non retenue – polluant les rêves nocturnes de Stevie Nicks) et surtout de moult choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence (Donovan dans la backroom de Patrick Cowley, j’ai hâte). Plus, coïncidence, les Zarjaz que j’avais envisagé de ressortir des cartons d’ici quelques jours ou semaines. Du coup, bouleversement hasardeux des priorités et pass coupe-file délivré à Ziro Baby, propulsé direct sur le haut de la pile – lui qui a le plus souvent navigué dans les basses eaux de l’indifférence.
C’est JC Brouchard qui, en 1986, alors que je venais de tomber en Creation comme d’autres en pamoison ou religion sur la foi des découvertes successives de Love’s Going Out Of Fashion de Biff Bang Pow ! et de la compilation Different For Domeheads, me conseilla vivement l’achat de ce CRE 14, m’avertissant juste que je n’y trouverai guère de guitares jingle jangle ni de chœurs saccharosés, sans s’étendre davantage. L’écoute fut donc une expérience pour le moins inattendue.
One Charmyng Nyte est une reprise, stryctly by the book, d’un aria composé à la fin du XVIIème siècle par Henry Purcell pour son semi-opéra The Fairy Queen. Purcell avait été remis au goût du jour quelques années auparavant lorsque Klaus Nomi, le contre-ténor qui jumela Bavière et Bowery, avait repris son Cold Song. Mais la fée au-dessus du berceau Zarjaz aurait plutôt pour nom Wendy Carlos, compositrice qui, à l’époque où on l’appelait encore Walter, avait passé Bach et d’autres baroques à la moulinette Moog. Invitée par Stanley Kubrick à composer la musique de Clockwork Orange, elle fera subir le même sort à Purcell, revisitant la marche de sa Music for the Funeral of Queen Mary. Tout porte à croire que Ziro Baby (Les Zarjaz, c’est lui) est fasciné à la fois par le baroque et les droogs d’Alex DeLarge, mais aussi par Néron, qu’il considère comme la première des rock stars. Il forge alors le concept de baroquabilly, pour définir à la fois la perfection pop et le rock’n’roll dans sa forme la plus pure, puis enregistre dans une chambrette d’Earls Court avec un seul synthé pour compagnon les deux titres de ce 45 tours. Précisons que, composée par Ziro et interprétée dans le même registre baroccocheap, la comptine orphique My Lady Ownes A Falle Out Zone sur la face B entend nous enseigner, dans la novlangue élaborée par Anthony Burgess, l’art de donner juste avec les doigts du plaisir à son aimée pendant une explosion atomique.
Sauf que tout ça, en 1986 et sans le recours à l’internet, on n’en a pas idée. Fortement décontenancé, je range ce disque dans un coin et retourne écouter les Pastels.
Ce n’est que près de 20 ans plus tard que je serai remis en présence de Ziro Baby et que je prendrai le temps et la peine de démêler l’écheveau.
Alors qu’il s’apprête à sortir en salles son moyen-métrage Mods, Serge Bozon m’offre une compilation homemade sur CDR baptisée Fuck the Mods : Post-Punk & Folk Roots (What A Way To D.I.Y. !). Parmi des titres signés Desperate Bicycles, Danny & The Dressmakers (l’incroyable Don’t Make Another Bass Guitar Mr. Rickenbacker) ou Shirley Collins (figure de proue du panier folk, achalandé par Axelle Ropert) je bloque sur ce Shark Fucks, par les Tronics. Et je fais enfin le lien avec Zarjaz / Ziro Baby, les Tronics étant la première entité sous laquelle il enregistra, entre 1978 et 1984.
Personne ne s’étonnera de voir dès 1985 Ziro et Alan McGee, le boss de Creation, se chamailler, essentiellement pour des histoires de fric et de promesses non tenues. Ziro part rejoindre Joe Foster (cf #10) qui, également mis au ban, s’en est allé fonder son propre Kaleidoscope Sound. Le label de Joe hébergera Inter Block Rock, un Ep 4 titres qui, bien que battant sous pavillon Zarjaz, renoue plutôt avec les déflagrations DIY des Tronics. De son côté, et avec la mauvaise foi dont il sait parfois faire preuve, Alan The President clamera à qui veut l’entendre que One Charmyng Nyte est la pire production qu’il ait jamais sorti sur son label. Ce qui ne l’empêchera pas, en décochant un coup de pied de l’âne au passage (« Ziro is thought to be the man who inspired Sigue Sigue Sputnik ») d’insérer sur la compilation Pensioners On Ecstasy (1990) ce qu’il considère être le second single Creation des Zarjaz (Ziro rétorque que ce n’en est que la version démo), jamais édité.
Ce track a pour titre Drastic Fantastic, et à mes yeux représente l’acmé indépassable de tout ce qu’a pu proposer Ziro depuis 40 ans. De la voix « wrapped in shiny black plastic » (Laura Palmer style) jusqu’au double chorus de guitare atrophié, en passant par les lyrics (« we’ll catch pneumonia in the park ») tout ici, bien que puant l’insuffisance respiratoire, est parfait – et terriblement d’actualité. Mais ne le répétez surtout pas à l’intéressé (qui préfère l’assez pitoyable version rebaptisée If 10 Equals Heaven, enregistrée sous son nouvel alias Freakapuss), il serait capable de lancer une horde de droogs à mes trousses pour laver l’affront.
Dans un autre registre, je me permets d’ajouter le titre Drastic Fantastic :
Bonjour Bertrand,
Je suis ta rubrique depuis quelques jours en me disant que, sans se connaître, nous avons beaucoup de goûts communs.
Et voilà que j’apprends aujourd’hui que nous nous connaissions en 1986 ! Désolé, je ne sais plus comment ça s’est fait…
Pour Ziro Baby, la chronique est très complète. Je ne connais pas toute sa discographie, mais il manque juste à mon sens un de ses classiques, « TV on in bed » des Tronics :
https://www.youtube.com/watch?v=yOgz1OCrswM
Une chanson dont Television Personalities a fait une très bonne reprise :
https://www.youtube.com/watch?v=OK-iK4I1C98
Vizeureux!
JC
Cher JC,
Merci pour ce complément d’information. Je connaissais l’original des Tronics, mais nullement la reprise des Television Personalities, très belle effectivement.
On s’est croisé à plusieurs reprises en 86, et no offence si la mémoire te fait défaut. Il est normal que je m’en souvienne davantage que toi. Le point d’orgue fut pour moi cette soirée rémoise où tu avais fait jouer Biff Bang Pow! (et Brigitte Rurale en support), me permettant dans la foulée de réaliser une interview avec Alan et Andrew Innes (je me souviens également de la présence discrète de Christian Perrot et son chapeau, envoyé à Reims par Libé). C’était il y a plus de 33 ans, donc apologies accepted.
Mais je pense que j’aurai l’occasion d’y revenir ici même – un post sur The Whole World Is Turning Brouchard ?
All best. BL