Pram, Across The Meridian (Domino)

PramDe l’art de reprendre les choses où elles ont été (dé)laissées… Mais reprenons plutôt au commencement. Lors de la dernière décennie du siècle passé, trois jeunes groupes de Birmingham partageant des influences communes incarnaient les nobles espoirs d’une musique pop à la fois moderne, richement référencée, onirique et lettrée. Formée en 1996, Plone, la formation la plus électronique de ce beau trio disparut après deux EP’s prometteurs et un unique album (For Beginner Piano en 1999). Nettement plus prolifique, Broadcast est mort dans un océan de larmes avec sa sublime chanteuse Trish Keenan, sans avoir fini de nous raconter toutes ses histoires de pays des merveilles et de crépuscules. Enfin, Pram, le premier des trois, est resté silencieux pendant onze années.
Pourtant, que ce groupe fut beau ! Bien avant que l’expression (un peu ridicule) d’hauntology ne (re)voie le jour sous la plume de Simon Reynolds et d’une multitude de chroniqueurs, Pram a préfiguré de ce qu’allait devenir la musique pop de la décennie suivante (et de la nôtre). Juste après le dispensable Gash (1992), Pram s’est réinventé en visitant tout un champ de la musique moderne délaissé par les groupes de sa génération. Une véritable illumination. Ainsi, les toujours splendides The Stars Are So Big, The Earth Is So Small … Stay As You Are (1993) et Helium (1994) restent probablement parmi les disques les plus importants de cette décennie saturée. On y entend de jeunes gens remiser leurs guitares et chercher leurs inspirations dans la musique d’illustration, le jazz de big band, Sun Ra et les pionniers de la musique électronique tels que Bruce Haack, Ruth White ou Delia Derbyshire. Comme nombre de ses successeurs, Pram refuse le réalisme qui parfume l’air du temps et que l’on retrouve dans les choix de production et dans l’imaginaire ambiants. Pour situer les débats, disons simplement que l’univers de Lewis Carroll et la scène finale du bal hanté de The Shining qui a tant marqué The Caretaker (Selected Memories From The Haunted Ballroom, 1999) sont tout proches. Plus tard, on entendra le groupe de Birmingham progressivement abandonner la richesse de ses instrumentations dans des compositions toujours plus complexes et nous conter des histoires naturelles aquatiques, polaires et des bestiaires fantastiques… Mais en dépit de leurs qualités, de leurs savantes recherches, un charme innocent s’est perdu, et ce n’est pas avec le même enthousiasme que l’on retourne vers Sargasso Sea (1995), The Museum Of Imaginary Animals (2000) ou Somniloquy (2001). Bref, onze ans après l’inquiétant The Moving Frontier (2007), qu’attendre d’un nouvel album de Pram ? Précisément, un retour aux sources. Across The Meridian est le disque qu’aurait pu enregistrer Pram en 1994, juste après la sortie d’Helium. Pour une grande partie instrumental (la chanteuse Rosie Cuckston ayant quitté le navire en route), ce disque renoue avec la féérie étrange des débuts. Une féérie peulée de cuivres, d’orgues dissonants, d’orchestrations qu’on dirait sorties des Balkans (Shimmer And Disappear), de thérémine (Footprints Towards Zero), de chansons de sorcières dignes du film The Wicker Man (Shadow In Twilight et Mayfly), de jazz cool et lunaire (Ladder To The Moon), de swing morriconnien (Sailing Stones) ou diabolique (The Midnight Room). En gigue de départ (pour le sabbat), la maléfique Doll’s Eyes rappelle au bon souvenir de John Barry et de Serge Gainsbourg. A l’heure où pullulent les apprentis magiciens citant Broadcast à tout va, comme une recette indéfiniment déclinable dont ils croient connaître les secrets, on leur conseillera (pour varier) de reprendre leur éducation par le début et d’essayer de se frotter à l’art délicat et infalsifiable de Pram. Puisqu’il est question de recettes, nous leur rappelerons aussi les mots du démonoloque Henri Boguet tirés du Discours exécrable des Sorciers (1603) : « Néanmoins, il ne faut pas croire ce soit l’onguent, ni l’onction qui cause ce transport car nous montrerons ci-après que ni l’onguent, ni les paroles, ni les caractères ne servent de rien aux sorciers. »

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