Je déteste les chroniques de disque. C’est, avec les tops, l’alpha et l’oméga du journalisme musical, son degré zéro comme son ultime absolu.
Sauf qu’à la différence des tops, en écrire est emmerdant: il y a trop de “grands disques”, il y a trop de disques moyens, trop de disques tout court, en somme. C’est donc, je l’annonce, la dernière chronique que je ferai — pendant un moment, s’entend. How To Slip Away, Comment s’éclipser, le titre est sybillin, au sens prophétique du mot. Recommandé par mon ami Mango Gatherer – dont on ne se lasse pas du morceau Laughs publié récemment par la plateforme curatoriale musicale Pied De Nez (allez voir, www.pieddenez.fm) – qui est une de ces personnes dont les conseils valent de l’or. Cet album fera grincer quelques dents: c’est un choix pointu. Zach Phillips, c’est le monde des CDrs qui tâchent, des cassettes à 50 exemplaires; à ce niveau, on se rit de l’entre-soi pour lorgner vers l’underground poisse. Sorti en juin, How To Slip Away est passé complètement inaperçu. Normal, ce n’est presque pas un album. Il n’a pas d’existence physique, pas de promo, il s’achète sur bandcamp et c’est l’énième production du Vermontais de Brooklyn (comme Chris Cohen) Zach Phillips, qui est un musicien à la tête du label OSR Tapes. Il est/était dans un groupe qui s’appelle Blanche Blanche Blanche dont la musique ressemble à Ariel Pink ou Deerhoof, c’est de la pop BIZARRE. Donc ESSENTIELLE. Zach a sorti énormément de disques, sous des tas de patronymes, à tel point qu’on décroche parfois. Alors pourquoi cet album, plutôt que celui d’avant (Headlight, publié aussi cette année chez les Franco-Belges Santé Loisirs)? Parce qu’il naît d’un concept beau comme la vie. Zach a écrit les morceaux, joue la basse et la guitare, et invite ses amis à chanter. Un chanteur par morceau, des amis, des musiciens, des artistes. Les “stars” étant Sarah Smith (Blanche Blanche Blanche), Sean Schuster-Craig (Jib Kidder) ou Chris Cohen qui vient gratter un solo à fin… Un disc-jokey, Colin White, commente tout au long le déroulement de l’ensemble, introduit les protagonistes, les salue gentiment. Musicalement, How To Slip Away est d’une inconséquence merveilleuse. Conçu sans doute pour rire – on en prendra pour preuve les bêtises de Puppet of the Government, Cat’s Paw ou Fucking Up. Les mélodies sont bancales et naïves comme une toile du Nierdoi Sseaurou – on ne le soupçonne même pas de faire exprès, comme le chante Kalma Traver sur Playing Dumb. Les guitares tortueuses sont souvent à nue, bourgeonnant leurs humeurs changeantes aux gré des pépites (Swarovsky qui lorgne vers Vincent Gallo, Rotting Wheel, Love You Know). C’est humain, étrange, gentil et unique.