Parfois, l’évidence s’impose avec une clarté suffisamment éblouissante pour qu’il n’y ait plus d’autre choix que de la marteler au fil des lignes. On a déjà eu l’occasion, en ces pages, de célébrer le talent d’Andrew Taylor, l’un des tous meilleurs songwriters contemporains évoluant sur des terres où la concurrence est pourtant rude – l’Ecosse – et qui n’a cessé, depuis une quinzaine d’années, d’aligner avec son groupe Dropkick des albums aussi précieux que méconnus. On en est intimement persuadé : serait-il précocement décédé dans des circonstances dramatiques ou doté d’un tempérament plus enclin aux addictions tapageuses que ses œuvres seraient déjà consacrées à titre posthume, dans des cercles où l’extase est trop souvent rétrospective et nécrophage. Trop discret pour échapper aux marges, trop normal pour nourrir la passion mortifère des cultes, cet artisan modeste persévère pourtant avec une admirable constance, indifférent à l’indifférence.
Instituteur de son état, Taylor se consacre à son hobby dans les interstices musicaux que lui permet d’aménager le calendrier des vacances scolaires, alternant entre heures de composition, séances d’enregistrement et tournées occasionnelles. C’est dans un fragment de ce temps libéré qu’est né ce nouveau projet, issu d’une collaboration avec son ami espagnol Gonzalo Marcos, batteur d’El Palacio De Linares. Ce dernier s’est donc chargé des textes et des percussions ; son compère écossais de tout le reste. Entièrement conçues en quelques soirées entre Edimbourg et Madrid, ces dix chansons demeurent imprégnées de la spontanéité et de la fraîcheur des premières prises dont elles sont, pour la plupart, issues et qui témoignent de ces brefs instants de grâce saisis sur le vif. Surtout, elles confirment par l’exemple que Taylor est absolument incapable d’écrire un mauvais morceau, quand bien même il lui viendrait à l’esprit d’essayer. En dépit du clin d’œil adressé à The Feelies via le patronyme choisi pour l’occasion, le ton n’est pas à la frénésie ni à l’exultation cathartique. Nulle trace ici de ces tensions électriques et de ces rythmes fous dont Glenn Mercer et Bill Million avaient fait leur matière première pour leurs débuts discographiques. Et si l’on devait pousser plus avant la comparaison suggérée avec le quartette du New Jersey, c’est plutôt du côté de la deuxième mouture champêtre du groupe ressuscité par l’entremise de Peter Buck, celle de The Good Earth (1985), que l’on dénicherait les prolongements les plus pertinents. Il ne s’agit pas ici d’exacerber l’intranquillité mais plutôt de guetter l’accalmie. En témoigne cette reprise finale, acoustique et apaisée, du premier morceau qui vient clore le cycle sur le ton de la sérénité. Sans grande surprise pour qui entretiendrait une familiarité, même distante, avec l’œuvre déjà considérable de Dropkick, on découvre ici une nouvelle série de ballades aux tempos souvent alanguis, pleines d’arpèges byrdsiens et carillonnants, et au fil desquelles étincelle, une fois de plus, un sens époustouflant de la mélodie simple et de l’harmonie mélancolique. Honnête et inspiré jusque dans les moindres accents de sa voix de rossignol, Taylor les interprète sans fioriture ni effet de manche superflu, confiant dans les seules capacités évocatrices de ces souffles magnifiques qui le traversent. Effacé derrière ses chansons, il ne nous laisse pourtant pas oublier à quel point sa présence s’affirme de plus en plus bienvenue. Presque indispensable.