Multi-instrumentiste, producteur et dessinateur de talent, Matt Adams incarne cet idéal de l’artiste complet, totalement indépendant, qui n’a attendu ni d’être suivi par des labels ni d’être adoubé par la scène psychédélique de la côte Ouest pour tracer son chemin. En quinze ans de carrière et bientôt autant d’albums, le Californien pure souche s’est imposé avec son projet The Blank Tapes comme un incontournable pour les amateurs de folk-rock et les nostalgiques des sixties. Rencontre avec un homme à l’enthousiasme grisant le 28 septembre dernier au Levitation France, à Angers.
Tu as sorti deux albums au cours des 12 derniers mois : Candy, ton dernier LP, et Collection 2003-2017.
Collection, c’est simplement d’anciens morceaux que j’ai réunis ensemble. Candy est mon nouvel album.
Collection est un parfait point d’entrée pour ceux qui ne connaissent pas ta musique. C’était ton intention de faire un Best Of ?
Oui, j’y ai mis une chanson de chacun de mes albums. J’ai tendance à sortir beaucoup d’albums et les gens me disent : « Mec, je ne sais pas par quoi commencer ! ». Collection est peut-être une bonne introduction, en effet.
Je pense aussi que Candy est idéal pour aborder ta musique. On y retrouve cette atmosphère très estivale, très californienne. Il y a toutefois une certaine mélancolie dans cet album, comparé aux précédents. Je pense par exemple à Last Night ou à She’s Your Baby.
Oui, c’est vrai. J’ai traversé une rupture, j’étais célibataire et je passais par tout un tas d’émotions alors que j’écrivais ces chansons. La plupart de cet album a été composée pendant cette période. Les sentiments d’amour perdu, de nostalgie… Oui, il y a de tout ça. Il y a de la tristesse, mais j’essaie toujours de conserver un peu de lumière.
Tu as titré ton album Candy. J’ai l’impression que souvent, les groupes qui se montrent candides, avec des paroles plutôt naïves, cachent en fait beaucoup de désillusion. C’est le cas dans la scène bedroom pop actuelle et ça l’était aussi chez les groupes Sarah Records, par exemple. Chez toi, on ne dirait pas…
Je ne suis pas encore désabusé, non ! Mais chacun a sa manière d’écrire. Certains artistes comme David Bowie ou Paul McCartney se sont construits des personnages, un univers imaginé, comme un monde fantastique. Pour moi, c’est plus facile d’écrire en partant de ma réalité. Par contre, il y a parfois des sens cachés, des métaphores. Candy est, en gros, à propos d’une fille, mon ex petite-amie. J’essaie d’en parler de manière détournée… Quand je chante qu’elle aimait le sucre en poudre, je parle en fait de cocaïne, par exemple.
Plus le temps passe et plus la production de tes albums se professionnalise. Tu as pendant longtemps tout enregistré par toi-même, principalement sur cassette 8 pistes, et j’imagine qu’au bout d’un certain temps, cela peut être limitant. Est-ce que tu aimes toujours, malgré tout, enregistrer sur cassette ? T’arrive-t-il encore de le faire ?
Je le fais encore parfois, mais pour mon prochain album par exemple, qui sortira en vinyle, je préfère aller en studio. J’ai enregistré tant d’albums lo-fi par le passé que j’ai aujourd’hui envie, sur mes albums plus importants, d’avoir un rendu un petit peu plus hi-fi. Mais j’enregistre encore très souvent sur cassette. D’ailleurs, je produit également des groupes et parfois les gens ont envie de ce son lo-fi, propre aux cassettes.
Je ne savais pas que tu étais aussi producteur ! Quels groupes as-tu produits ?
Je ne sais pas si tu vas les connaître… J’ai aidé Veroniqua Bianqui, qui joue dans mon groupe. Elle n’a pour l’instant sorti que quelques singles. J’ai aussi produit le premier album d’une autre fille qui a joué avec moi, ma petite-amie à l’époque, Pearl Charles. J’ai travaillé un peu avec Sugar Candy Mountain, avec qui j’ai des affinités musicales : j’ai joué avec eux pendant quelques années et le batteur [Will Halsey, moitié du duo] joue aujourd’hui dans mon groupe. J’ai produit une chanson pour eux. A côté de cela, quelques groupes dont tu n’as probablement jamais entendu parler, principalement des amis à moi qui me demandent de les aider. Je fais environ deux albums par an pour d’autres personnes.
Tu as eu l’habitude par le passé d’enregistrer tes morceaux seul, en jouant toi-même de tous les instruments. Est-ce que tu travailles toujours de cette manière ?
Cela dépend ! Sur Candy, j’ai assuré environ 90% de l’instrumental. J’ai demandé au batteur de Sugar Candy Mountain de jouer sur quelques chansons. Elles sonnaient bien, mais elles sonnaient encore mieux avec lui car il est meilleur batteur que moi. Il est très bon. Sinon, la basse, les claviers, les guitares, et puis toutes les autres percussions, plus simples, c’est moi. J’aime tout faire par moi-même mais pour mes albums studio, plus professionnels, j’apprécie d’avoir au moins un batteur, une autre personne avec qui je puisse prendre ma guitare, jouer et me rendre compte du rendu. Je prends donc en général des batteurs pour mes albums studio, mais pas tout le temps.
Tu as enregistré Candy à Portland, en Oregon. C’était la première fois que tu n’enregistrais pas en Californie, non ?
C’était la deuxième fois, mais c’était la première fois que j’enregistrais un album complet ailleurs. Il y a deux chansons de notre album Slow Easy Death (2013) que nous avions enregistrées alors que nous étions en tournée, il y a longtemps, en Géorgie [Etats-Unis]. Sinon, à part ces deux chansons, tout le reste a été fait en Californie, en effet.
Est-ce que cela a changé quelque chose, d’enregistrer à Portland ?
Oui, peut-être, parce que j’étais en dehors de ma zone de confort, j’étais dans la ville de quelqu’un d’autre. Je suis allé à Portland plusieurs fois mais, tu sais, ce n’est pas chez moi. C’était intéressant d’enregistrer là-bas car ce n’était que moi et le producteur, Eric D. Johnson, qui a joué notamment dans The Shins. J’avais quelques amis en ville, mais j’avais peur que sortir avec eux détourne mon attention, alors je passais simplement mes journées à enregistrer. Ensuite j’allais dans un bar pour écrire quelques paroles, je dormais dans mon van, je me levais très tôt, j’écrivais à nouveau et je retournais au studio. J’ai fait cela pendant deux semaines environ, en ne voyant quasiment personne. Être là-bas m’a permis d’être moins distrait. Si je suis chez moi, j’ai mes amis, des choses à régler… A Portland je suis loin, je ne peux rien faire de tout cela, donc tout est différent : je ne suis pas dérangé, je peux mieux me concentrer. Aussi, Portland est un endroit assez pluvieux, couvert, tout à fait à l’opposé du sud de la Californie, quoique San Francisco peut être sombre aussi parfois… J’avais écrit la plupart des chansons de Candy avant de partir, mais j’ai aussi écrit quelques paroles à Portland, j’en ai finit certaines. Qui sait, peut-être que c’est ce qui a rendu l’album un peu plus triste ? Peut-être que Portland lui a ajouté de la mélancolie ? Je n’y ai pas vraiment réfléchi, mais l’endroit m’a probablement un peu affecté.
Comment la Californie influence ta musique ?
J’ai grandi à Orange County, à Newport Beach, d’où viennent des groupes comme The Growlers. J’ai donc grandi à la plage, sous le soleil. On était heureux quand on avait de la pluie : « Wow, il pleut, c’est incroyable ! ». J’avais parfois envie d’un peu de mauvais temps, mais aujourd’hui je suis heureux : j’aime le soleil et à vrai dire, je ne supporte pas vraiment le froid. Je pense que le temps affecte certaine personnes, les personnes sensibles. A Seattle, ils ont la scène grunge : tout le monde baigne dans cette atmosphère pluvieuse, lugubre, et je pense que cela se reflète dans leur musique, qui est plus énervée… peut-être pas si énervée, mais disons qu’elle exprime des émotions différentes. La Californie a une histoire culturelle et une pop culture très riches, et Los Angeles concentre le cinéma, de nombreux labels et groupes… J’ai aussi vécu à San Francisco pendant longtemps, je suis allé un peu partout dans les environs et je trouve qu’il y a énormément de choses supers dans toute la Californie. J’adore l’Amérique. Je n’aime pas les politiques, mais il y a de bons côtés : New York c’est cool, Austin c’est génial. Je voyage beaucoup mais la Californie m’apparaît toujours comme ma terre naturelle : je m’y sens chez moi, je m’y sens relié. J’aime la culture du surf, la culture du skate, le désert… Je vis dans le désert maintenant, à Joshua Tree, qui est un endroit très psychédélique. Je crois que j’aime écrire à propos de ce qui m’entoure.
Dans Feels Like Summer, je mentionne Sunset Strip et je trouve ça cool, parfois, de faire référence à de vrais endroits. Si je vais en Europe, je vais chanter à propos de Paris, mais je chante à propos de là où je me trouve, et je suis la plupart du temps en Californie. Les gens me disent : « Tu viens de Californie, ta musique est tellement californienne ! ». Je n’y peux rien… C’est la météo, mais c’est aussi que je suis une personne relax… Je peux m’énerver, mais je suis quand même quelqu’un de très décontracté, et la musique que j’écoute a ce même rythme. Quand j’étais jeune, je trouvais le punk rock très cool, je trouvais plein de choses cool, mais plus je vieillis et plus je me rends compte que tout cela, ce n’est pas moi, ou alors c’est seulement une petite partie de ma personnalité. Je crois que j’ai compris ce qui me rendais heureux, ce qui me correspond. De toute façon, je ne peux pas chanter comme Kurt Cobain, je ne peux pas écrire ce genre de musique, cela sonnerait comme des « ahh ahh » [on pense aux Beach Boys]. Quand j’étais jeune je voulais chanter comme Kurt Cobain, mais ma voix cassait, ça ne marchait pas. Désolé, je m’égare, maintenant tu sais tout à propos de moi… [rires]
Tu es un musicien très prolifique. Beaucoup d’artistes, pour se sentir inspirés et créatifs, ont besoin de moments de “rien”, voire d’ennui. Toi qui est toujours si occupé, quand as-tu le temps d’avoir toutes ces idées ?
Je sais ! Je suis toujours en train d’écrire de la musique : si je commence à toucher ma guitare, j’ai immédiatement quelques idées. Ce qui me prend du temps, c’est de développer ces idées et de les faire aboutir. Il y a un tas de chansons dont je dois terminer les paroles, les arrangements… Ces deux dernières années, je n’ai en fait pas tant composé que cela parce que j’ai peut-être 200 morceaux en stock à enregistrer. J’en ai tellement que je dois me mettre un stop, mais les idées me viennent quand même. Les meilleures chansons me viennent très naturellement. Par exemple, je suis en sortie avec des amis et quelqu’un dit : « Oh, I feel tired, let’s go to sleep ». Tiens, cela ferait de bonnes paroles [il chante une mélodie sur cette phrase]. Cette chanson parle d’être fatigué et d’avoir envie de dormir ? Ok : « I had a dream…. » [il chante]. La chanson s’écrit d’elle-même ! Mes chansons préférées sont celles qui ont été inspirées par des conversations, des moments entre amis. C’est plus intéressant que de s’installer et se demander de quoi l’on va parler. Finalement, cela ne me demande pas tant de travail. Le vrai travail arrive pour moi plus tard, quand je dois finir les paroles, écrire de nouveaux couplets ; c’est toujours la partie la plus difficile, les paroles. La musique, la mélodie, les chœurs me viennent généralement très naturellement.
Dernièrement, j’ai fait beaucoup d’art et de dessin. J’ai fait le poster qui est en bas, par exemple. Depuis un an et demi, cela prend de plus en plus de place dans ma vie. Je suis très occupé. Je suis actuellement en train de travailler sur un cartoon pour un groupe et j’ai travaillé sur beaucoup d’autres dessins depuis le début de la tournée européenne. Je suis dans le van, on conduit et je dessine. J’ai fait tant de dessin que je n’ai pas eu le temps de faire de la musique. En fait, j’ai enregistré Candy il y a deux ans. C’est nouveau pour tout le monde mais pour moi, c’est quelque chose qui, enfin, voit le jour. J’ai beaucoup d’albums en stock. J’en ai déjà presque fini avec le prochain album et ensuite j’en aurai un autre, qui est presque terminé aussi. Je les sors les uns après les autres, c’est comme cela que fonctionnent les labels, le système des tournées. Je ne peux pas sortir mes albums aussi vite que King Gizzard. J’aimerais pouvoir faire cela, mais je suis seul, contrairement à eux, qui sont toute une équipe. Pour moi, ce serait trop. J’adorerais sortir trois ou quatre albums par an, mais cela me demanderait trop de temps et d’argent.
A propos de ton art, tu as réalisé les pochettes de tous tes albums, dans un style à chaque fois très différent. N’as tu jamais souhaité créer une identité graphique commune pour The Blank Tapes ?
Je pense qu’il y a quelque chose qui relie le tout, mais je crois que j’ai envie que chacune de mes pochettes soit différente. La pochette de Candy m’a posé problème parce que je voulais faire un collage, avant de réaliser que j’avais déjà fait cela. Ensuite, je voulais un dessin, mais j’avais déjà dessiné un cartoon pour Vacation. J’étais à sec, puis j’ai eu cette idée de faire une séance photo et de dessiner sur les tirages. Je suis donc allé à la plage et j’ai pris quelques photos avec un vieil appareil. Refaire ce que j’ai déjà fait… Je veux me challenger d’avantage, donner l’impression que c’est un nouvel artiste qui a réalisé la pochette à chaque fois. Pour Candy, j’ai même pensé à mettre à contribution d’autres personnes. Quelques amis m’ont proposé des idées et c’était chouette mais en fait, j’avais envie de le faire moi-même, j’avais envie de faire cette chose différente moi-même. J’avais peur de m’installer dans une sorte de confort en refaisant ce que j’avais déjà fait ; ce qui peut être une bonne chose en fait, je ne sais pas. Peut-être que je vais commencer à recycler mes idées à partir de maintenant…