Le temps a, une fois de plus, effectué son formidable travail de sape. Et pourtant, qui aurait parié un repas chaud sur Swervedriver, groupe d’Oxford apparu comme des suceurs de roue de Ride (même ville, même label : Creation, même genre musical, qu’on appelait alors à peine Shoegaze) avec de plus une donnée capillaire infranchissable pour les jeunes snobinards que nous étions. Car pour nous, les dreads (et les groupes de sinistre mémoire auquel on les associait : Credit To The Nation, Back To The Planet, Ozric Tentacles, j’en vois frissonner d’horreur au fond du campement et ils ont raison) étaient éliminatoires, d’office, circulez y’a rien à voir, bande de hippies. Assez peu portés sur la tolérance et l’amitié entre les peuples (exception faite du cas A.R. Kane), sales couillons que nous fumes, nous passâmes donc à coté d’un groupe qui a finalement traversé le temps et notre connerie avec une force tranquille et un talent qu’on finira par leur reconnaître sur le tard.
Car des Posies à Lift To Experience, c’est bien aux américains que l’on doit les conseils de réévaluation du groupe d’Adam Franklin. Qui, s’il n’a jamais dépassé le stade de sensation indie en Europe, avait su convaincre sur les terres de l’oncle Sam.
C’est d’ailleurs l’ami Josh T. Pearson qui nous avait remis la puce à l’oreille il y a quelques saisons : « J’écoutais My Bloody Valentine, Ride, Pale Saints, Boo Radleys mais je trouve qu’on mésestime gravement Swervedriver, l’album Raise (1991) est fantastique et Adam Franklin est un grand parolier, un grand conteur. Ils ont eu un impact décisif, parce qu’ils étaient plus sauvages que les autres, plus couillus pour tout dire. Raise et Loveless (1991) ont été les deux disques qui ont eu le plus d’influence sur Lift To Experience. »
Et sur ces bonnes recommandations, nous nous trouvâmes un peu benoîts en réalisant qu’effectivement Son Of Mustang Ford (1990) était rien moins qu’un classique absolu, et que ce que nous reprochions à Swervedriver (leur côté un peu bourrin) était en fait leur arme absolue. Ce n’est pourtant pas le trait d’esprit qui caractérise le groupe depuis un précédent album très correct et presque onctueux (I Wasn’t Born To Lose You, 2015) mais c’est celui qui ouvre Future Ruins avec fracas et cette fois-ci sur Rock Action, le label de Mogwai, autres laudateurs crédibles s’il en est.
Mary Winter donc, fait office de déflagration inaugurale, savant mélange de TNT et de miel qui donne le ton d’un album plus riche que le précédent, enchainé avec The Lonely Crowd Fades In The Air qui propose une déclinaison sur une ligne de basse relativement New Order (mais, belle astuce, jouée à la guitare). Dès lors la science du refrain et l’inventivité générale distancent de deux ou trois sommets l’assez peu engageant retour de Ride aux affaires. Drone Lover dans une veine encore plus pop, non loin de la sagesse d’un Teenage Fanclub (un peu drogué, certes) confirme tout comme Spiked Flower, avant un Radio Silent vaste comme l’espace et profond comme d’abondantes frondaisons sous la neige.