1989. Après la pinède, la plage de Miramar s’étend jusqu’au port. Elle est plus large que les trois petites plages du camp. L’eau est plus claire, le sable plus blanc, les algues absentes. C’est la plage des feux de nuit, des fêtes musicales et pour beaucoup des premiers baisers. La journée, nous l’ignorons.
Gilles ne danse pas. Sur la plage, il est au milieu de la foule, toujours entouré des plus belles filles du camp, mais aucun mouvement n’anime son corps. Il attend la fin de la fête, les ultimes chansons, celles qui s’éloignent des tubes sucrés et des standards commerciaux. Il connaît le disc-jockey, il sait que les trente dernières minutes sont consacrées à de la musique pas comme les autres. C’est l’été des quatorze ans, je découvre la pop anglaise, le rock indépendant. Gilles porte un t-shirt blanc au col déchiré et à l’effigie de son groupe préféré. La musique arrive, le visage et les yeux se ferment, la tête, le corps bougent de façon imperceptible. La voix est pour moi inédite, étrange, androgyne. Certains disent tragique et grandiloquente. C’est une musique d’hiver qui me plonge, malgré mes quatorze ans, dans l’introspection. Je sens au cœur du ventre une torsion légère, une mélancolie de fin de saison. J’imite aussi la pose de Gilles.
Je comprends quelques mots, ils se répètent, il est question d’obscurité, d’araignée, d’avancée calme, de tremblement, de lutte. Et le chant se poursuit, toujours plus lancinant, et Gilles m’explique les images de cette berceuse, le sens de la chanson. Il me parle d’amour, de dévoration amoureuse, les filles se rapprochent de lui. Les filles aiment les garçons sensibles qui aiment la pop anglaise.