Selectorama : Les Fils De Joie

Les Fils de Joie
Les Fils de Joie, Toulouse, 1983.

Il y a des concerts auxquels on a assisté et qui ont chamboulé un peu notre vie ; il y a aussi des concerts auxquels on n’a pas pu se rendre et qui pourtant nous ont tout autant marqués.

Le 30 avril 1985 est un mardi. Ce soir-là, des élèves d’une Grande École ont invité à Châtenay-Malabry deux groupes d’ici, Les Calamités et Les Fils De Joie, qui sont assez bien placés dans le Panthéon musical d’une des classes de Terminale A1 du lycée Hoche de Versailles. On n’a pas forcément les disques mais des uns, on connaît tous par cœur les paroles d’Adieu Paris – dont on préfère la version originelle, enregistrée sur une cassette vierge lors d’une diffusion sur Radio 7 (sans doute) à celle surproduite par Frank Darcel – et on aime bien Tonton Macoute et leur reprise des Ramones aussi, Havana Affair en version chaloupée ; des autres, on adore Toutes Les Nuits, sa rythmique débridée et ses paroles un peu légères, on est moins convaincu par la reprise de The Kids Are Alright – mais quand même, reprendre The Who, c’est chouette -, et puis, Pas La Peine d’essayer de résister à la pop vintage de ce groupe mixte dont le nom nous fait fondre.

30 avril 1985. C’est Vincent, le seul d’entre nous à avoir alors son permis, qui conduit Giuseppe et Bruno – et peut-être l’autre Christophe aussi – au concert en question. J’ai beau chercher, je ne sais pas pourquoi je n’y suis pas – sans doute une interdiction parentale, en fait, je ne vois que ça – et j’écoute le lendemain matin avec envie et jalousie le compte-rendu détaillé d’une soirée qui je crois fut un peu chaotique. Je n’aurai jamais vu Les Fils de Joie (ni Les Calamités) sur scène – pour le moment car… Mais j’avais acheté la seconde version d’Adieu Paris et le maxi de Tonton Macoute à l’époque puis trouvé quelques années plus tard, le 45 tours originel d’Adieu Paris, que je me souviens avoir passé à une fête Agnès B et avoir été accosté par un gars comme interloqué : « J’ai organisé leur concert à Châtenay-Malabry !” – décidément, le monde est petit et n’a que faire de l’espace-temps.

Des Fils De Joie, on savait qu’ils venaient de Toulouse et que, comme une ribambelle de groupes d’alors, ils s’étaient donnés pour mission de faire sonner le rock en français et ils y étaient plutôt bien arrivés. Ils faisaient partie de cette scène biberonnée à la musique anglo-saxonne mais décidée à chanter dans la langue de Molière. C’était le début des années 1980, certains ne dépasseraient pas le cercle des initiés, d’autres fricoteraient avec le succès, à l’instar des voisins de Fumel Les Ablettes – on ne dira jamais assez de bien de leur reprise de Tu Verras – et des autres pensionnaires du label Réflexes Les Désaxés ou Les Bandits bien sûr, mais aussi la Ford de Ich Libido –, Les Avions de La Planète Des Singes – et de la première partie des Smiths à l’Eldorado en mai 1984 – les enfants du Marquis de SadeMarc Seberg, Octobre, Daho Jr et les autres –, Elli et Jacno et les jeunes gens modernes

Les Fils De Joie ont connu plusieurs incarnations, de leur naissance en 1978 à leur séparation en 1985. Ils auraient dû enregistrer un album, recueil d’influences plurielles – entre punk et reggae, new-wave et pop – sur fond d’insouciance, d’amitiés, d’amours déchues et de ces souvenirs qui nous suivent toute la vie. Ce disque sort enfin, via le label Pop Sisters Records, avec un titre hommage à Ian Curtis, une chanson aux tendances suicidaires, des paroles qui évoquent Ainhoa et Aguilera – il n’y a vraiment pas de hasard –, l’océan, les dunes et des mélodies qui jonglent avec l’euphorie et la mélancolie – et au final, on se dit qu’il aurait très bien pu constituer la bande originale du très beau film qu’est Les Magnétiques. L’un des membres fondateurs, Olivier, donne le temps de ce selectorama plusieurs indices sur la teneur d’un album sauvé des eaux.

01. XTC, Making plans for Nigel (1979)

On avait coutume de dire avec Les Fils de Joie que « nous recherchions la créativité en tournant le dos à la virtuosité » – Pour la première partie je ne sais pas si on a réussi mais pour la deuxième, de toute façon, on ne pouvait pas … XTC résume assez bien cette philosophie je crois. Making Plans For Nigel a marqué nos esprits et influencé le style des Fils de Joie et de beaucoup d’autres. Quand ce morceau sort en 1979, personne n’avait jamais rien entendu comme ça. Il nous semblait que personne n’avait fait sonner les instruments comme ça. Chaque détail compte sur ce morceau. La guitare, la basse, la voix. Le gimmick de batterie est juste magique, à la fois simple, entêtant et super original à l’époque.

02. Elvis Costello, Watching The Detectives (1977)

C’est une de ses premières chansons. J’avais le 45 tours et je le trouvais géniale. Le son de l’orgue et la voix de Costello ont marqué à jamais l’époque et le son des Fils de Joie. J’aurais pu choisir Joe Jackson avec One More Time, le clone vocal de Costello et tout aussi génial mais avec l’orgue en moins.

03. The Specials, A Message To You Rudy (1979)

Si les punks ont marqué le début de la rébellion culturelle en 1976/1977, les groupes ska ont suivi rapidement et ont apporté une certaine subtilité à ce renouveau avec une approche multiculturelle, des rythmes cool et ils ont consacré le retour des cuivres. Il n’est pas simple de sélectionner un morceau de cette mouvance tant il y en eut d’excellents mais pour moi, il fallait que ce soit Madness ou les Specials. Ces deux groupes phares du mouvement nous ont influencés. On a tranché pour les Specials parce que ce pauvre Terry Hall est mort récemment. Ce titre est une reprise d’un morceau jamaïcain, le texte et le style sonnent comme le manifeste du mouvement ska. Il me semble que l’arrangement de Adieu Paris a notamment été influencé par cette mouvance.

04. The Ramones, Sheena Is A Punk Rocker (1976)

Les Ramones, le groupe qui a changé ma vie, celui qui m’a décidé à fonder un groupe de rock ! C’est en jouant les Ramones que j’ai appris à écrire et composer des chansons. Tous les membres du groupe étaient fans de la première heure. Quand ils ont joué en France en 1981, on est allé les voir au Grand Parc de Bordeaux. On les a attendus devant leur bus après le concert pour leur serrer la main… Quand on leur a dit qu’on reprenait Havana Affair en ska, ils ont eu l’air super étonné et Dee-Dee je crois s’est marré… Deux autres gars étaient là près du bus et ils ont pris des photos d’eux et de nous avec les Ramones mais ils ne les ont jamais partagées. Je ne désespère pas de les voir resurgir un jour. Le plus drôle c’est que, quand les Red Hot Chili Peppers ont repris eux aussi Havana Affair, quinze ans plus tard, leur version était plus proche de la nôtre que de l’original.

05. Joy Division, New Dawn Fades (1979)

Il s’agit de mon morceau préféré de Joy Division… Au sein des Fils de Joie, c’est Chris et moi qui étions les plus fans. Ce groupe symbolise à lui seul le renouveau musical de cette époque et notamment la mouvance cold. La façon de jouer de la basse et de la guitare, la voix de Ian Curtis, tout cela va à l’essentiel. Joy Division et The Sound étaient nos groupes préférés de cette vague – The Sound était moins connu mais j’aurais pu sélectionner ici l’excellent Winning de l’album From The Lion’s Mouth. Joy Division est un groupe forcément culte par son originalité, la qualité de ses morceaux et la fin tragique de Ian Curtis… Nous lui avons rendu hommage avec la chanson Nous Ne Dansons Plus La Nuit, qui a aussi donné le titre à notre album.

6. Buzzcocks, Ever Fallen In Love (1978)

Une des chansons les plus réussies du rock anglais de l’époque. Si les Beatles avaient été un groupe punk, ils s’appelleraient les Buzzcocks. S’ils avaient été américains, ça aurait été les Ramones. Manifestement, Pete Shelley, qui a écrit la chanson, ne devait pas vivre une relation amoureuse sereine. Tant mieux pour nous ! Ce talent d’écriture mélodique m’a toujours impressionné. Une bonne chanson pour moi doit sonner juste avec une guitare sèche sur la plage. Ce morceau est un un standard éternel.

07. Bob Marley, Soul Rebel (1970)

Un morceau génial et assez ancien de Bob Marley & The Wailers, un énorme standard reggae. J’aurais pu choisir The Harder They Come de Jimmy Cliff que nous reprenions avec les Fils de Joie sur scène – c’est Daniel qui chantait –, mais Bob Marley a eu un impact beaucoup plus fort sur le renouveau musical de la fin des 70s, avec tant de titres géniaux et un charisme exceptionnel. J’ai choisi ce morceau grâce auquel j’ai découvert le reggae pendant mon adolescence en Nouvelle Calédonie (j’avais l’album Soul Rebels) … J’ai accroché au reggae instantanément. Je trouve ce titre fascinant par sa simplicité mélodique et l’influence soul. Je l’écoute encore.

08. Serge Gainsbourg, L’Anamour (1969)

Il n’y a pas beaucoup de groupes ou chanteurs français dans ma sélection. Musicalement, les Anglo-saxons ont influencé Les Fils de Joie bien davantage … Mais personnellement et modestement, Gainsbourg m’a aussi influencé par son écriture. C’est une écriture simple et poétique. J’aime son coté désabusé « fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve… » et parfois second degré et provocant « Je t’aime moi non plus ». Dans ce morceau Gainsbourg fait rimer les vers en I et en A, « Transat » et « Transit », « 200 ASA » et « Asie » : c’est un vieux procédé poétique qui permet d’élargir la palette de rimes et donc les images. C’est bien vu et puis Gainsbourg, finalement c’est assez rock ‘n’ roll. Nous-mêmes avions délibérément décidé de chanter en français presque par provocation. Mais écrire et chanter en français, c’est exigeant. Le faire bien, ce n’est pas à la portée de tous. Les français sont un peuple de poètes et de rebelles. C’est pour cela aussi qu’ils aiment Brassens, Brel et Gainsbourg. Si tu as des choses à dire ici et si tu sais le faire en Français avec un vrai talent, tu seras mieux compris et si tu as le génie d’écrire un standard, tu franchiras quand même les frontières. Gainsbourg a été numéro un en Angleterre avec Je T’Aime Moi Non Plus, Bowie a repris Amsterdam, Sinatra a chanté My Way, Grace Jones, La Vie En Rose.

09. Marvin Gaye, Let’s Get It On (1973)

La soul music fait partie des influences majeures des Fils de Joie deuxième époque, celle qui a suivi notre obsession des Ramones … Personnellement, j’ai découvert Marvin Gaye grâce à notre bassiste Daniel. C’est lui qui était le plus curieux de la bande et c’était un grand fan de musique noire. Certains remarqueront que nous nous sommes inspirés du rythme de ce morceau pour  J’Appelle Par-Delà Les Mers. Évidemment, on aurait pu choisir Sexual Healing, qui a remis Marvin dans le coup dans les 80’s mais Let’s Get It On, c’est incontournable.

10. The Jam, Sweet Soul Music (1977)

Daniel, notre bassiste adorait le groupe The Jam et la soul music. C’est lui qui nous a fait découvrir une face B d’un 45 tours du groupe – en face A, il y avait In The City je crois (ndlr il s’agit en fait du 45 tours The Modern World). Cette reprise de Sweet Soul Music en live nous a scotchés. Ce morceau parlait des héros soul disparus. Ça m’a donné l’idée de faire pareil avec les références du groupe. J’ai commencé à l’écrire quand Ian Curtis s’est pendu, en anglais We’re Not Dancing Anymore.  Je l’ai traduite plus tard en Nous Ne Dansons Plus La Nuit. La chanson figure sur l’album et notre label, Pop Sisters Records, a même proposé de donner ce titre à l’album.


Nous ne dansons plus la nuit par Les Fils de Joie a été réédité par Pop Sisters Records

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