These Things Happen. Il n’aura échappé à aucun fan d’indie pop que le titre donné par Jane Duffus à son récent livre consacré à l’histoire de l’iconique label Sarah Records, a été emprunté à celui de l’immortel tube d’Action Painting!, sorti en 1990. Un hommage bien mérité à ce single du groupe d’Andy Hitchcock qui pourrait passer pour l’Idée platonicienne de la chanson jangly pop venue s’incarner dans le monde sensible, morceau qui n’a rien à envier aux meilleurs titres des Field Mice ou autres McCarthy.
Dans une interview de l’époque, publiée sur sur le site de Sarah Records, Hitchcock raconte que la musique d’Action Painting! se voulait alors un parfait antidote au shoegazing, qu’il voyait comme une musique d’étudiants nantis trop occupés à bidouiller leur matériel hors de prix pour penser à composer de vraies chansons. L’ambition d’Action Painting! consistait simplement à créer des popsongs destinées à faire sauter les gens dans leur chambre, défi bien plus difficile qu’il n’y paraît mais que le groupe a su relever haut la main.
Plusieurs bons singles avaient suivi, publiés chez Sarah Records, puis le quatuor de Gosport (Hampshire) avait fini en beauté en 1995, par la sortie chez Damaged Goods du 7 pouces Our Heads Are Round So That Our Thoughts Can Fly In Any Direction, contenant notamment l’énorme et très bruitiste bombe sonore Laying the Lodger. En 2018, le label Emotional Response avait eu la riche idée de publier Trial Cuts, une compilation rétrospective rassemblant tous ces singles, contenant aussi des versions live et des démos inédites.
Mais à ceux qui auraient lâché l’affaire en 1995 et n’auraient pas suivi le reste de l’aventure, il faut rappeler que l’après Action Painting! n’a pas été moins riche en chansons de très haute qualité. Avec quelques anciens membres de son premier groupe, Andrew Hitchcock avait eu la riche idée de faire un come-back sous le nom de Socialist Leisure Party, prouvant qu’il en avait encore vraiment sous la pédale. Avec Tactical Pop! For Coffee Cadets, fabuleux EP sorti en 2009 chez Shelflife Records, ou encore le mirifique single Vulnerable Adults, paru sur Cloudberry Records, Hitchcock avait fait preuve d’une rare inspiration, se hissant largement au niveau de ses premiers disques, enchaînant les mélodies imparables et subtiles, les parties instrumentales de haute voltige, les paroles accrocheuses et intelligentes. A réécouter ça aujourd’hui, on trouve que tout y est lumineux, vivant et galvanisant, habité par un souffle de fraîcheur pop exaltant.
C’est à cette époque que j’avais eu la chance de voir Andrew Hitchcock sur scène en Angleterre. Je me souviens de ce concert estival ou, malgré la chaleur accablante, Andrew avait joué dans un ensemble rouge en velours dans lequel n’importe qui aurait étouffé, même en plein milieu du Pôle Nord. Seul, avec sa Rickenbacker poussée à fond en son clair, en héritier vraiment crédible des Who, il avait donné une performance dantesque qui, par sa combinaison d’extrémisme sonore et de pop mélodique m’avait fait l’effet d’un véritable attentat. Une vrai leçon de coolitude.
Mais l’histoire n’est pas terminée, car Action Painting! vient tout juste de publier Sun Anchor, nouvelle (très bonne) chanson sortie en flexi dans le 7ème numéro de Raving Pop Blast, fanzine papier d’Arthur Andrew Jay, ex-leader de The Groove Farm et désormais de The Total Rejection (dont un super titre très marychainien apparaît sur le même flexi).
La chanson d’Action Painting! est énergique, basée sur un riff saccadé bien accrocheur, mais évolue vite vers des arrangements stylés presque psychédéliques, qui donnent l’impression d’entendre The Jam, mais avec Scott Walker à la production. Retour aux affaires réussi donc, pour le barde indie pop basé à Bristol, qui nous fait aujourd’hui le plaisir de proposer une sélection de chansons qu’il affectionne particulièrement.
01. PINK PANTHERESS, Pain
J’adore ce morceau. Ça montre à quel point on peut faire une grande chanson de pop éphémère avec trois fois rien. La partie de synthé piquée à Erik Satie pourrait vraiment craindre, mais combinée avec le rythme et sans rien d’autre qu’une voix, c’est d’un minimalisme parfait. Si c’était signé Wiggs/Stanley, tout le monde se jetterait dessus.
02. THE TROGGS, With a Girl Like You
Pink Pantheress dit qu’elle déteste les processus lents. Cette chanson a été enregistrée en deux prises, les « ba-ba-ba-ba » ayant servi de guide pour une trompette qui n’a finalement jamais été enregistrée. En deux coups de cuiller à pot, et dans l’urgence, Reg et ses potes, des bons gars du Hampshire, on créé un tube de portée mondiale. Un merveilleux disque pop traversant l’adversité.
03. THEE CHERYLINAS, Love in Creation
En 1994, ce groupe allemand a offert trois ou quatre chansons au super label Detour Records, pour une compilation, et ils ont mis une branlée à tous les autres artistes qui y figuraient. Ils ont en quelque sorte posé les bases pour un groupe comme The Courettes, mais avec uniquement des nanas dans le line-up. Une vraie musique mod dans toute sa splendeur !
04. THE CLAIM, All About Hope
The Claim a été un des groupes les plus sous-estimés des années 80. Cette chanson est belle, toujours aussi riche dans son élégante simplicité. De la pop vraiment moderniste. Les gars de The Claim font toujours de la bonne musique aujourd’hui.
05. THE FALL Your Heart Out
De récents orages et des feux d’artifice ont tourmenté mon vieux chien mourant. J’ai toujours aimé The Fall, mais je ne les ai jamais autant adorés que depuis que je suis avec ma femme, complètement fanatique du groupe, qui a l’habitude de les écouter en boucle .Bien sûr, il y a un lien entre Portsmouth et The Fall avec Psychic Dancehall. Yr Heart Out n’est pas ma chanson préférée de The Fall, mais les passer à la maison a apaisé mes animaux et c’était la chanson favorite de mon chien Simba. RIP.
06. LUNG LEG, Punk Pop Travesty
Avec la co-songrwiteuse Mo Quinn, à la guitare et à la voix, c’était un parfait antidote à la britpop féminine des années 90. Malheureusement, Lung Leg se sont reformées avec seulement deux membres originels, devenant une sorte d’auto-tribute-band.
07. AZTEC CAMERA, Walk Out to Winter
La chanson de notre mariage. C’était en quelque sorte un mariage indie pop, dans la mesure où le fils d’une membre de Strawberry Switchblade a joué de l’orgue, et qu’il a neigé alors qu’on quittait l’Église d’East Kilbride au son de cette chanson. Roddy Frame était, et est toujours surnaturellement talentueux, et pourtant même dans sa ville natale il semble ne pas avoir laissé de traces. Ils ne se rendent pas compte du trésor qu’ils ont à domicile.
08. MILES DAVIS, Ah-Leu Cha
J’ai découvert ce morceau à la bibliothèque de Gosport (Hampshire), mon sanctuaire quand j’étais ado. Cette chanson est tellement émouvante, elle sonne comme une ville qui s’éveille au printemps. Elle exprime la détermination, l’industrie, la direction vers un but. J’adore la vélocité sur ce disque.
09. THE FIRE ENGINES, Discord (Peel Sessions version)
Une énergie rythmique primale. Un morceau tendu comme un fil et en même temps sinueux et flexible. Comment ne pas danser là-dessus ? Beaucoup ont tenté de les copier, mais de façon naze.
10. CANDY MAPS, Here it comes
Je termine ma sélection comme je l’ai commencée, avec de jeunes artistes. Ce groupe de Glasgow, mené par des gars de la classe ouvrière, évoque un incroyable et sombre mélange de Soft Cell et de Blue Orchids. La production brute (presque du Chess ou du Sam Phillips) montre une fois de plus à quel point l’esthétique du less is more est efficace. C’est noir, énergique mais ample. Il est devenu rare d’écouter des voix de la classe ouvrière issues de la scène de Glasgow. C’est bon de se dire qu’elle existe encore.