C’est le 15 août. Un mardi. Je m’en souviens, car sur l’une des photos prises ce jour-là dans le hall de l’aéroport de Roissy, deux amis et moi (je suis le seul à partir), tout sourire dehors, posons fièrement avec un exemplaire de France Football (c’était le jour de parution du magazine). Partir ? Oui, pour l’Australie, avec un couple – couple qui se défera pendant le voyage aller, mais tout s’est bien passé. Une idée qui nous était venue pendant l’année universitaire, après avoir rencontré deux Australiennes à Paris (Alicia et Carolyn – entre nous, j’étais plus Carolyn, mais j’appris plus tard que j’aurais dû être plus Alicia). Pour moi, ça tombait bien. Car j’étais en pleine période australienne. The Saints, The Aparments (qui n’ont sorti alors qu’un seul album), The Triffids, The Church, Crime & The City Solution, Nick Cave & The Bad Seeds et tout en haut de mon affiche, The Go-Betweens.
Ce groupe, je ne me souviens plus comment je l’ai découvert (une chronique, une interview, une publicité, un clip diffusé à pas d’heure ?), mais il est encore aujourd’hui dans mon Panthéon. Des chansons à tomber à la renverse, une élégance négligée, deux femmes (une batteuse présente depuis les presque débuts, Lindy Morrison, et une multi-instrumentiste arrivée sur le tard et jolie comme un cœur – je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré un fan qui n’ait pas été amoureux d’Amanda Brown), des déclarations destinées à la postérité (« il n’y a que les groupes mixtes qui sont dignes d’intérêt »), une histoire rocambolesque (avec exil britannique à la clé) et ce concert parisien en première partie de REM dans un Grand Rex bondé face à un public blasé, malgré un set de toute beauté ponctué par un Apology Accepted qui m’avait sans doute fait chialer – j’en avais boycotté les stars de la soirée et ravalé ma peine en m’achetant un tee-shirt et en attendant sur les grands boulevards dans la chaleur de cette nuit d’été les membres du quintette australien pour glaner des autographes — attente récompensée. Et il existe bien sûr d’autres détails qui font des Go-Bet (c’est leur diminutif) un groupe à part – si vous voyez là une référence à Godard vous avez raison : une des première photos de la formation, en trio alors exclusivement masculin, les voit poser à côté d’une affiche de Belmondo période A Bout de Souffle.
Une fois en Australie (pays où je rêve de retourner depuis 30 ans), nous avions fait des étapes dans les villes qui ont marqué la vie du groupe. Je crois que de nous trois (vous vous souvenez, je suis parti avec un couple), j’étais le seul excité par cette ballade de fin d’après midi dans un mall de Brisbane déserté, imaginant que Forster et McLennan avait peut-être déambulé ici même en rêvant comment ils allaient devenir aussi connus que les Monkees ou aussi importants que le Velvet ; sous le soleil de Cairns, je me suis souvenu que McLennan y avait grandi et que surtout, c’est dans cette ville au bord du Pacifique (j’ai vu la grande barrière de corail et nagé à côté d’un bébé requin) qu’a été tourné le clip de la magnifique Bye Bye Pride; Melbourne, enfin, où j’ai trainé mes compagnons à Missing Link, boutique de disques et premier label du groupe, et sur lequel a paru le 45 tours culte des Tuff Monks, projet d’une nuit enregistré avec trois Birthday Party (Nick Cave, le génial Mick Harvey et le regretté Rowland S. Howard)…
Il y a encore d’autres souvenirs, bien sûr, mais vous devez surtout vous demander pourquoi je raconte cela aujourd’hui. Parce qu’aujourd’hui à midi, sur la webradio Rinse France, mes amis de Section26 consacrent deux heures à ce groupe et à ses deux songwriters d’exception. Alors, il sera question de Postcard Records et des Smiths, de Londres et de Nick Cave, de filles, d’échecs, de disputes, de relations amoureuses, de hits perdus, de pluie au printemps, d’espoir, de rupture, d’échappées en solitaire et de retrouvailles. Il sera question de la vie. De la mienne, en tout cas.