« All your hardness
All your softness
And your mercy »
Bill Callahan
C’était il y a quelques heures. Ombre fauve sur les murs, lumières d’automne qui ondulent, encore un peu, dans les feuilles mortes tombées du ciel. J’avais en tête – durant cette balade précieuse d’une heure – une chanson. All Your Women Things de Smog. Une liste, pour une fois sublime, où Bill Callahan note avec acuité tous les détails – tous les vestiges, d’un abandon. L’automne 2020 porte bien cette chanson où l’on entend un sombre ensemble de cordes tempérer la tristesse. La musique est évidemment un bien essentiel. Elle nous rend un ailleurs possible par sa puissance évocatrice. C’était – il y a quelques heures, quelques jours, quelques temps – peu importe, cette chanson me rend possible le retour des voix aimées, me livre le visage d’un ami disparu ou encore me fait revivre cette nuit d’Octobre 1998. Je ressens les jours meilleurs comme je savoure la beauté des heures anciennes. En faisant mes cartons, pour quitter Nantes, je me suis mis à relire des livres, à réécouter des disques. J’ai assez rapidement conclu que déménager durant un confinement national, c’était une fois de plus la preuve de mon goût immodéré pour l’absurde. Tiens, en parlant d’absurdité, il est sorti récemment – avant que ces lieux non-essentiels que l’on appelle librairies ferment leur porte – un livre merveilleux. Un bouquin comme une escapade narrée dans un style sec et précis. Emmanuel Carrère dit de Geoff Dyer, car il s’agit de lui, qu’il est: « un mélange improbable et irrésistible de Thomas Bernhard et de Woody Allen. » C’est assez juste. Ici pour aller ailleurs est traversé par un regard implacable. Celui d’un homme absorbé par sa passion pour l’imprévu. Ce recueil est drôle, poétique – lumineux. Il n’y a donc pas que la musique qui nous fait voyager par procuration. Ce nouveau confinement m’a donné envie de revoir un film. N’oublions pas les salles de cinéma. Noir et blanc épais, road-movie des petites routes et des lieux perdus ou ignorés, Au Fil du Temps de Wim Wenders (1976) m’a refilé une baffe toute mélancolique. Il faut dire : prendre la route, l’idée de prendre la route, en ce moment, relève du vertige. Vertige comme le long métrage de Wenders où le noir et blanc hyper contrasté ressemble à la fuite d’une ombre. Ou bien la fugue de la douceur. Et tous ces jours où l’on regarde du bord de sa fenêtre la nuit venir, prisonnier d’un quotidien devenu peu commode, on l’aperçoit cette fugue. Dans une autre vie, j’adorais les albums de Sean Nicholas Savage. Disques pop, carnavalesques, où le jeune homme se livrait sans concession à la joie. C’était une belle euphorie. Il revient, accompagné d’un piano et d’un ensemble de cordes, tout en grandiloquence et en tristesse. Life is Crazy est le disque d’un amoureux de l’imprévu, n’hésitant pas à cajoler le mauvais goût. Sinatra de fin de nuits berlinoises où tous les clubs se sont tus, les compositions n’évitent jamais la sortie de route. Une sortie de route ? Voilà bien la marque d’une belle liberté et en ces jours où l’on en manque, profitons-en.