Il n’y a jamais eu énormément de solutions musicales envisageables à la question délicate et cruciale du vieillissement. Quelle figure acceptable peut-on continuer à présenter de soi-même lorsqu’il s’agit de conclure, bientôt, et de surcroît dans un registre – celui de la pop – particulièrement attaché aux sources de ses mythologies adolescentes fondatrices ? Avec le temps, un modèle de référence semble parfois avoir fini par émerger pour demeurer tout en renonçant. Celui élaboré entre 1994 et 2003 au travers des collaborations successives entre Johnny Cash et Rick Rubin s’est ainsi largement imposé depuis presque trois décennies.
Entre les lignes des différents volumes des American Recordings, c’est une version dramatisée de la lutte contre la décrépitude qui se livre. Le dépouillement musical accompagne un processus où l’approche inéluctable de la fin pressentie se joue et se chante comme un face-à-face ultime avec un miroir dépiautant : il faut se résigner à ne plus conserver que l’essentiel, ce qui était toujours là et qui se découvre dans une ultime révélation, sombre et sereine. Le répertoire est choisi au diapason : des chansons anciennes ou décalées que le contexte, souvent, conduit dans des retranchements insoupçonnés, plus purs, plus forts. La reprise de Hurt de Nine Inch Nails sur le quatrième volume de la série en est l’exemple le plus manifeste : la fin prochaine change le sens et transforme la complainte du junky en une ultime interrogation existentielle. Tout cela est sublime mais tend à réduire les dernières étapes de l’existence artistique à cette lente montée, terrible et bouleversante, vers la rencontre définitive avec soi.
A soixante-seize ans, l’ancien batteur un peu loufoque des Monkees se propose d’explorer l’exacte antithèse de ce schéma désormais bien rodé de la réappropriation pré-mortem. Sur le modèle de Nilsson Sings Newman, 1970 – le pastiche de la pochette suffit à en témoigner – Micky Dolenz vient d’enregistrer un album entier de reprises des compositions de son ancien comparse Michael Nesmith, qui plus est arrangé et produit par le fils de ce dernier, Christian Nesmith. Une affaire de famille et d’amitié, donc, où le poids du passé ne s’avère jamais écrasant. Ici, le sérieux se mêle à une forme salutaire de vitalité légère accentuée par la voix de Dolenz, interprète mésestimé, et qui a conservé une bonne partie de la fraîcheur de son timbre de jeune homme. Il s’agit moins de se résoudre à dresser le bilan tragique et définitif de tous les comptes d’une vie que d’en rectifier certains points, de changer encore pour le mieux ce qui peut l’être, tout en acceptant les registre plus limité des possibles : enregistrer une version épurée et plus valorisante d’une chanson négligée des Monkees – Don’t Wait For Me ; redorer de splendides colorations baroques Carlisle Wheeling ; tracer des chemins de traverse dans le répertoire foisonnant de son ami de cinquante ans, pour que la fréquentation des jalons les mieux connus – Different Drum, notamment popularisé par Linda Ronstadt – alterne avec la réhabilitation des ressources tout aussi remarquables mais moins connues – Nine Time Blue ou Keep On. Dans tous ces regards croisés sur un passé en partie commun, il y a inévitablement une bonne dose de nostalgie, et même parfois du déni, manifeste dans les quelques dérapages – abominables mais peu nombreux – qui tentent en vain de renouer avec la verve rock adolescente du temps de Steppin’ Stone, 1967. C’est un peu triste à entendre, mais c’est aussi très humain. Ce qui domine donc, malgré les erreurs, c’est bien cette ardeur rassurante, cette certitude profondément ancrée qu’il reste autre chose à rejouer dans les fins de parties que l’abandon, si serein soit-il, aux forces du déclin. Avec Dolenz nous éloigne de l’austère solennité des sépulcres, dans laquelle se forgent sans doute les chefs d’œuvre plus incontestables : c’est pourtant un immense soulagement.