Dès le premier coup d’œil, sans même en avoir écouté la moindre note, il y a des disques dont on devine qu’ils ne vont pas nous décevoir. Dont on devine qu’on va en tomber amoureux. Des disques où il n’y aura pas de chansons qui mentent, de chansons qui prennent la fuite sans crier gare, de chansons qui s’étirent pour mieux cacher le vide.
Au départ, il y a donc une pochette. Une peinture, un portrait façon plan américain – découvert un matin de peu de lumière au détour d’un post par le graphiste responsable de ce petit miracle. Un portrait qui est celui d’une jeune femme, dont le regard grisé et la bouche légèrement entrouverte laissent entendre qu’elle est perdue dans ses pensées – et pas forcément roses, les pensées. Au départ, il y a aussi un titre. Ex-Voto, un joli mot parce qu’après tout, au-delà de sa consonance religieuse, il symbolise l’espoir – l’espoir que certains vœux, parait-il, finissent par s’accomplir. Ce sont ces signes-là qui font qu’on se dit que “ce disque-là, il est pour moi”.
Le nom de l’artiste, lui, on le connaissait déjà – croisé ici et là sur Internet, sous le clavier de gens avec lesquels on partage pas mal de gouts –, mais allez savoir pourquoi, pour tout un tas de mauvaises raisons – le temps, mais aussi le temps, le temps ou le temps, et puis la paresse sans doute un peu –, on n’avait pas vraiment daigné en savoir un peu plus sur cette nouvelle petite amie de la chanson d’ici (et d’ailleurs), dont le surnom est Lonny.
Ce n’est certainement pas pour me faire pardonner, mais aujourd’hui, je suis intimement persuadé que c’était mieux ainsi. Pour arriver comme vierge à la première écoute de ce disque. Parce que ce disque, voyez-vous, ce n’est pas n’importe quel disque. Ce n’est pas une simple collection de chansons. C’est un album qui s’écoute d’un trait, avec juste le silence pour accompagner la transition entre chaque composition, avec juste le silence pour accompagner le moment où il faut changer de face. Ce disque, c’est l’un de ces vrais albums qu’on écoute forcément dans l’ordre même s’il sème le désordre dans les émotions – le cœur qui s’emballe, les idées qui vagabondent, les sourires qui s’esquissent ou les larmes qui se dessinent ici, et là aussi. C’est un album comme l’est La Question de Françoise Hardy, comme l’est 17 Seconds de The Cure, comme l’est Colossal Youth de Young Marble Giants. Ce disque, c’est un disque à fleur de peau, où les mots, les notes, les arrangements – discrets souvent, pertinents toujours – guident les sensations. Ce disque, il abrite des chansons qui, le plus souvent en français, mais aussi un peu en anglais, ne cherchent jamais de fausses excuses et se mettent à nu, là devant nous, avec juste un peu de rouge aux joues ; des chansons de ruptures, d’absences, de pensées un peu noires (ou parfois à peine grises), des chansons en guise de catharsis avec une fin qui laisse poindre un sourire.
Ce sont des chansons qui refusent les étiquettes – celle de folk souvent utilisée parait bien trop réductrice pour tenter de résumer le spleen idéal de Comme La Fin Du Monde ou la fausse insouciance de Le Goût De L’Orge. Des chansons dont on peine à trouver des filiations, même si on pense parfois au premier album de Pain-Noir (dont on attend des nouvelles désespérément) ou surtout, au disque miraculeux de Beth Gibbons & Rustin Man, Out Of Season, qui fêtera cette année ses vingt ans – ne me demandez pas le pourquoi ni le comment de cette association, mais elle m’obsède depuis quelques jours, entre autres je crois grâce à la fragilité étourdissante de Black Hole ou les chœurs un peu brumeux de Le Sable Normand. Ex-Voto, alors : des chansons de l’intime qui racontent l’universel ; des chansons d’aujourd’hui écrites hier et qui s’écouteront encore demain. Que ces (len)demains chantent. Ou pas.