Grandir sans renoncer tout à fait à être soi. Pas facile, tout particulièrement lorsque l’on a connu la reconnaissance publique avant même d’atteindre sa majorité et que l’on a publié ses meilleurs albums – Meltdown, 2004 et Twilight Of The Innocents, 2007 – alors que fans et critiques les accueillaient avec une indifférence croissante. Il a fallu presque huit ans pour que Tim Wheeler et Ash parviennent enfin à inventer la meilleure manière de vieillir sans se laisser flotter sur l’air du temps. Huit ans de tâtonnements plus ou moins approximatifs – une flopée de singles numérique inégaux enregistrés en 2010 puis, en 2014, pour le chanteur, un album solo à la Tchao Pantin, ambitieux mais inabouti consacré au décès de son père – avant de renaître, presque à l’identique. Brutalement interrompue en 2007, pour ce qui concerne les albums, la discographie du trio irlandais a donc fini par retrouver une nouvelle jeunesse, sonique et fougueuse, avec le détonnant, Kablammo ! (2015) suivi cette année par l’excellent Islands. Désormais exilé aux USA, Ash semble avoir accepté son identité en enregistrant encore une fois un LP qui ressemble à s’y méprendre au rêve le plus fou de ses admirateurs : un condensé de power pop ultra-efficace, regorgeant de mélodies imparables et de refrains bébêtes à souhait, et où les guitares métalliques – Flying V en tête – rivalisent d’intensité. Mais c’est encore sur scène que le groupe sait le mieux nous faire partager sa joie insouciante du jeu collectif. Et réapparaître, pour notre grand bonheur, sous les traits inaltérables de l’éternel adolescent qu’il n’aurait jamais du cesser d’être.
A quelques jours d’un concert parisien, l’occasion est toute trouvée de ressortir de nos archives un entretien réalisé avec Tim Wheeler en 2015, où nous étions revenus en sa compagnie sur les étapes discographiques les plus marquantes d’un parcours entamé à l’âge où d’autres potassent le brevet des collèges, et au fil duquel nous avions évoqué aussi bien les questions existentielles que les mérites comparés des guitaristes de Thin Lizzy ou le design des vaisseaux intergalactiques dans Star Wars.
1977 (1996)
Nous étions encore lycéens à nos débuts. C’est pour cette raison que nous avons commencé par publier quelques EP’s que nous enregistrions pendant les vacances scolaires. Quand nous avons eu dix-huit ans, nous avons pu commencer à répéter davantage et à préparer notre premier album. Le problème c’est que, à ce moment-là, nous avions déjà placé presque tout notre répertoire sur nos singles. En tous cas, les meilleures chansons : Jack Names The Planets, Angel Interceptor et Girl From Mars. Il a fallu se remettre à l’écriture, un peu dans l’urgence. C’est sans doute ce que je reprocherais aujourd’hui à 1977 : c’est un bon album mais il manque d’homogénéité à cause de quelques titres plus faibles. Heureusement, j’ai réussi à composer Goldfinger et Oh Yeah sur le fil, quelques jours avant les débuts de l’enregistrement. Malgré la pression liée au succès des premiers tubes, nous étions encore très insouciants et très excités. Nous sommes partis au Pays de Galles pour travailler avec Owen Morris. Nous ne savions pas encore très bien quel était le rôle exact d’un producteur, mais nous avions senti intuitivement que c’était l’homme de la situation. Pour tout dire, nous l’avions choisi surtout parce qu’il était très sympa et complètement fou ! Mais aussi parce que j’appréciais le travail qu’il avait effectué sur les premiers albums d’Oasis et que nous avions besoin de quelqu’un qui soit capable de mettre en valeur la puissance des guitares électriques. C’était la première fois que nous pouvions passer autant de temps en studio : six semaines, cela nous paraissait énorme ! Nous avions envie de tout découvrir et de toucher à tous les boutons. C’est assez dur de s’adapter à la célébrité quand on est aussi jeune. Disons que nous essayions simplement de survivre au jour le jour en maintenant un rythme de festivité assez élevé ! (Rires)
Free All Angels (2001)
J’étais sorti complètement épuisé de la tournée précédente. Pour la première fois, nous avons donc décidé de prendre six mois de vacances pour nous ressourcer. Je suis retourné en Irlande pour m’isoler et retrouver un peu de calme et de recul. C’est là que j’ai écrit la plupart des chansons de Free All Angels ainsi que deux de mes intros préférées de tout notre répertoire : Sometimes et Burn Baby Burn. C’est vrai que certains textes sont un peu plus sombres et introspectifs : je commençais à me lasser un peu de toute l’effervescence qui entourait le groupe et surtout de la vie en tournée. C’était devenu presque impossible d’avoir une relation sentimentale sérieuse dans un contexte où elle se déroulait forcément à distance. Les autres sont ensuite venus me rejoindre chez mes parents, dans le garage, exactement comme à nos débuts dix ans plus tôt. C’est là que nous avons commencé à répéter avant de retourner en studio avec Owen Morris. C’est la première fois que nous avons utilisé Pro Tools, ce qui confètre peut-être une certaine rigidité un peu froide à certains morceaux. Mais, sur le plan des mélodies, c’est un album très réussi.
Meltdown (2003)
C’est la dernière fois que nous avons enregistré avec Charlotte Hatherley (NDLR. Guitariste de Ash entre 1997 et 2004). Elle venait tout juste de publier son premier album solo et, sur un plan créatif, elle était en très grande forme. Cela s’entend notamment au niveau des harmonies vocales qui sont particulièrement présentes et réussies sur Meltdown. Nous avons choisi de travailler aux USA avec Nick Rasculinecz, le producteur de Foo-Fighters, dans les studios de Sound City. J’avais envie d’introduire des éléments plus rock et plus métalliques. Sur ce plan, il nous a beaucoup aidés. Owen Morris avait une approche beaucoup plus globale et instinctive des chansons alors que Nick s’est montré beaucoup plus perfectionniste et beaucoup plus exigeant, notamment pour ce qui concerne les performances instrumentales individuelles. Je crois que je n’ai jamais réenregistré autant de fois un même solo C’était aussi extrêmement émouvant pour nous de découvrir l’endroit où Nevermind, 1991, un de nos albums de chevet, avait été enregistré. Et encore davantage quand nous avons pu serrer la main de Dave Grohl ! Après tout, c’est Nirvana qui nous a donné envie de devenir un groupe quand nous étions encore adolescents. Ce sont eux qui ont brisé les premiers tous les stéréotypes débiles qui étaient encore associés au metal dans les années 1980 : les coupes de cheveux horribles, les solos virtuoses. Nous avons également eu la chance d’assouvir notre passion pour Star Wars. Je suis un immense fan de toute la saga. Nous sommes nés en 1977, l’année de la sortie du premier épisode auquel le titre de notre premier album est un hommage. J’avais écrit Clones, l’une des chansons de Meltdown, avec cette référence en tête et les collaborateurs de George Lucas m’ont contacté pour l’utiliser en illustration sonore d’un jeu vidéo. A ma connaissance, c’est toujours le seul extrait musical, en dehors de la bande-originale de John Williams, qui a servi dans une de leurs productions. C’est aussi à ce moment-là que nous avons été invité au Skywalker Ranch pour un concert privé. Cela reste un souvenir exceptionnel, bien sûr.
Twilight Of The Innocents (2007)
C’était une période un peu bizarre pour moi et pour le groupe. Charlotte Hatherley venait juste de quitter Ash et nous nous retrouvions donc en trio pour la première fois depuis la fin des années 1990. C’était en même temps une espèce de retour aux sources mais dans un contexte un peu plus difficile. Rick, Mark et moi étions devenus adultes et les relations amicales que nous entretenions depuis notre adolescence s’étaient forcément modifiées. Je ne crois pas que nous en avions complètement conscience au moment de l’enregistrement. Au contraire, je me souviens que nous étions très enthousiastes ! Nous avions installé notre propre studio à New-York et c’est la première fois que nous produisions intégralement un album nous-mêmes. C’était à la fois très exaltant et très stressant, parce que nous nous étions mis nous-mêmes une grosse pression sur les épaules : il fallait que nous soyons à la hauteur et au moins aussi bons que tous les producteurs avec lesquels nous avions travaillé précédemment. Je crois que, pour des débutants, nous n’avons pas trop mal travaillé ! (Rire.) C’est un Lp qui synthétise assez bien les différents styles que nous avions essayé d’explorer : il y a des titres très grunge, d’autres plus pop, quelques ballades aussi. Sur le coup, j’ai été extrêmement déçu de l’accueil mitigé qu’il a reçu. Nous avions l’impression d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes, en tous cas pour ce qui concerne les formats longs, et que ça n’intéressait plus grand monde. Je me suis posé beaucoup de questions et, peu de temps après, nous avons décidé qu’il était temps de tourner la page et d’explorer de nouvelles manières de jouer de la musique. A l’époque, l’industrie musicale était en plein bouleversements et il ne nous semblait plus forcément souhaitable, compte-tenu de la manière dont Twilight Of The Innocents avait été sabordé, de travailler à la conception d’un autre album.
A-Z (2010)
Avec le développement d’internet, la manière dont les gens consomment la musique s’est énormément transformée. C’est en constatant ces changements que nous avons eu l’idée de revenir à un format beaucoup plus court en diffusant en ligne une nouvelle chanson toutes les deux semaines tout au long de l’année 2010. Nous commencions à ressentir le besoin de nous confronter à de nouveaux défis, de nous mettre aussi en danger. En même temps, j’avais toujours été un peu frustré en terminant l’enregistrement de chaque album. Pour ce qui concerne le songwriting, je suis souvent assez lent au démarrage. Mais, une fois que le flot de l’inspiration est lancé, j’ai envie de continuer à écrire et à composer plutôt que de partir en tournée et de rejouer toujours les mêmes chansons. J’avais donc envie de changer radicalement de rythme, de rompre cette routine. De ce point de vue là, j’ai énormément apprécié cet épisode un peu particulier de notre vie : nous étions totalement libres de passer quelques jours en studio pour y travailler de nouveaux titres, puis de repartir sur scène pour les tester en public et les améliorer. C’est aussi une période de ma vie où j’ai pris le temps d’écouter et de découvrir des artistes et des genres que je connaissais mal et d’élargir ainsi mes influences classiques. Ma petite amie travaillait dans un bar à New-York et elle m’avait demandé de lui confectionner des playlists différentes pour chaque soir de la semaine. Il fallait donc que j’assure ! (Rire.) Nous avons ainsi pu explorer des styles très différents et parfois très nouveaux pour nous sans avoir à nous préoccuper de la cohérence de l’ensemble ou à nous censurer parce que tel ou tel style n’aurait pas eu sa place sur un LP complet. Au contraire ! Nous voulions vraiment que les gens soient le plus surpris possible en découvrant la chanson qu’il venait de télécharger. Nous avons recherché à accentuer les contrastes et les ruptures de manière très extrême : par exemple Binary a un côté presque funk alors que Sky Burial est un instrumental très atmosphérique. Sur un plan créatif, c’était extrêmement stimulant et très libérateur. Mais, en même temps, nous devions respecter le rythme de publication que nous nous étions nous-mêmes imposé, ce qui était par moment assez stressant. Nous savions très bien que nous étions en train de prendre un gros risque et qu’aucun échec ne nous serait pardonné. Quand nous avons lancé la campagne d’abonnements, nous avions les six ou sept premières chansons en stock mais, à plusieurs reprises, nous nous sommes retrouvés coincés à quelques jours d’une date de sortie sans très bien savoir ce que nous allions mettre en ligne. Mon rêve était que chaque single rentre dans le Top 40 mais, malheureusement, ça ne s’est pas passé comme je le souhaitais. J’ai donc été un peu déçu.
Tim Wheeler – Lost Domain (2014)
Dès le départ, il était évident pour moi que ces chansons devaient servir de trame à un album solo. D’abord parce qu’elles sont étroitement liées à un contexte très personnel et qu’elles évoquent la maladie et la mort de mon père. Les premiers symptômes d’Alzheimer sont apparus il y a environ dix ans et, à partir de 2008, il a commencé à perdre la mémoire. Son comportement et sa personnalité se sont beaucoup modifiés pendant les dernières années, ce qui est extrêmement perturbant pour l’entourage bien sûr. Pendant trois ans, j’ai traversé régulièrement l’Atlantique pour venir le voir et soutenir aussi ma famille. Après sa disparition, il fallait que je parvienne à évacuer ces moments pénibles et cela n’aurait eu aucun sens d’exprimer ce genre d’émotions sur un album d’Ash. Sur un plan formel, j’avais envie d’explorer d’autres univers musicaux, en dehors du trio et des guitares saturées. J’ai eu ainsi l’occasion de jouer plusieurs instruments que je n’ai pas l’habitude d’utiliser, notamment le piano. C’était l’instrument préféré de mon père, celui dont il aimait jouer et je voulais aussi lui rendre cet hommage indirect. Peu de temps auparavant, j’ai composé quelques bandes-originales pour la télévision. Cela m’a permis de m’émanciper peu à peu du format classique de la chanson, ce que j’ai également essayé de faire avec Lost Domain. A cet égard, un titre comme Medicine est sans doute une des réalisations musicales dont je suis le plus fier. D’autant plus qu’il a fallu que me restreigne : la version originale comportait pas moins de quatorze couplets et durait dix-sept minutes. Il a fallu que je prenne seul des décisions importantes pour la rendre plus écoutable. Pendant l’enregistrement, j’ai ainsi appris à me débrouiller tout seul en studio mais la dynamique de groupe a fini par me manquer : j’ai ressenti le besoin de retrouver cette forme d’énergie collective et de construction commune, où je peux proposer une idée aux autres et me confronter à leurs points de vue et à leurs suggestions.
Kablammo ! (2015)
En 2010 déjà, nous avions enregistré quelques morceaux très proches de notre style originel et où les guitares dominaient. Mais, comme nous étions dans une phase d’exploration, nous ne les avions pas intégrés à notre série annuelle de singles. Nous les avions distribués gratuitement aux abonnés, à titre de bonus. Et, la plupart du temps, ce sont ces chansons là qu’ils avaient préféré ! (Rire.) Au début, j’étais un peu surpris parce que les gens semblaient réagir de manière plus positive à ces bonus qui ne nous avaient pas demandé beaucoup de travail ou d’effort qu’à des nouveautés qui nous paraissaient plus intéressantes, plus originales et dont nous étions plus fiers. Et puis, j’ai fini par comprendre et par me faire une raison : j’imagine que le public préfère qu’Ash se contente d’être Ash, et que nous continuions à faire sans trop réfléchir ce dont nous sommes capables, tout simplement. Après la sortie de Lost Domain, j’avais également envie de tourner la page et d’enregistrer une sorte de célébration de la vie. Cocoon, la première chanson du nouvel album, sert en quelque sorte de transition : elle évoque la fin de cette période de deuil et le début d’une nouvelle ère. En 2013, nous nous sommes donc remis progressivement au travail, en essayant de conserver une forme de spontanéité et de fraîcheur liées au plaisir de nous retrouver ensemble. Nous avons commencé par quelques sessions d’écriture mensuelles et, petit à petit, nous avons senti que le moteur redémarrait. Après toutes ces années d’exploration et toutes ces expériences, je sentais que nous avions tous besoin d’un vrai retour aux sources essentielles de notre son et de notre écriture. Paradoxalement, il a fallu un peu de temps pour retrouver nos racines mais je crois que nous y sommes parvenus. Pendant cette période, nous avons eu l’occasion de rejouer 1977 dans son intégralité sur scène, pour le vingtième anniversaire de sa sortie, et cela nous a beaucoup aidé à renouer avec l’énergie des origines, tout en portant aussi un regard critique sur les quelques défauts de l’album que je peux plus aisément percevoir avec le recul. La pochette et le titre sont également une manière de renouer avec notre amour de la culture pop et des bandes-dessinées qui fait partie de l’ADN d’Ash depuis nos débuts. Pour ce qui concerne les guitares, je me suis beaucoup inspiré de Thin Lizzy qui reste un de mes groupes préférés et une influence majeure. J’adore le style de Brian Robertson que j’ai eu la chance de rencontrer quand j’habitais à Londres.