C’est le premier – ex-aequo avec Robert Smith (ça doit se jouer à quelques semaines). C’est l’année 1982, le premier magazine acheté, un numéro de Best – j’en suis à peu près sûr. Il est question de The Who, il est question de The Jam, il est question des mods. Je ne comprends pas tout – et même peut-être rien. Mais le jeune homme filiforme, cheveux très courts, pantalon cigarette, veste en cuir noir et sourire aux lèvres impressionne. Il s’appelle Paul Weller. Il a à peine 22 ans et ne va pas tarder à saborder The Jam, dont la carrière discographique météorique (1977 – 1982) marque d’une empreinte indélébile l’inconscient collectif britannique – je me souviens encore d’un mariage outre-Manche, en juin 2004, où le témoin du marié avait émaillé son discours d’avant-repas de citations extraites de paroles de The Jam. Alors, j’ai vécu en direct la fin du groupe – l’annonce dans la presse anglaise, la sortie de la compilation live Dig The New Breed (un achat New Rose) – et j’ai suivi les spéculations qui s’ensuivirent sur l’avenir de Weller, “le porte-parole d’une génération” – le premier retour sur scène après le split lors d’un concert d’Everything But The Girl, puis l’union avec Mick Talbot (ex- Merton Parkas, ex- Dexys, ex- The Bureau et déjà croisé aux côtés de Weller lors de la reprise du classique Heatwave sur l’album Setting Sons, en 1979) sous la bannière The Style Council.
Je l’ai déjà écrit, mais je me rappelle très bien que ma prémière réaction en voyant la pochette de Speak Like A Child – lettrage jaune sur fond noir – fut de penser au 45 tours de Kajagoogoo, Too Shy (pas forcément un bon pressentiment, même si le titre en question était produit par Nick Rhodes). Ma seconde réaction, en écoutant le disque acheté encore une fois chez New Rose, fut de me dire que c’était très bon. Enfin, que j’adorais. C’était sans doute subjectif, tant j’avais fait de Paul Weller une icône – et une icône, ça ne peut pas vous décevoir. Et puis, l’apparition des notes de pochette du mystérieux The Cappuccino Kid ajoutait à la magie. En Angleterre, les aficionados de The Jam ne tardèrent pas à crier à la trahison – leur héro passait ses journées en France (autant dire un crime de lèse-majesté), ne voulait plus entendre parler de son groupe précédent, allait décider de ne plus jouer de la guitare parce que “trop rock’n’roll”. Pour ne rien arranger, il allait même piquer à Wham! l’une de ses deux choristes, Dee C. Lee, pour la scène comme en ville.
En six ans cette fois, Paul Weller va réaliser quatre albums, pléthore de singles, multiplier les déclarations, prendre fait et cause pour les mineurs du nord de l’Angleterre, créer le Red Wedge pour soutenir (sans succès) le Labour Party et tenter de bouter Maragaret Thatcher hors du 10 Downing Street. Bien sûr, il se fourvoiera parfois (artistiquement, publiquement), mais il reste que ces années-là – souvent conchiées par beaucoup de ses admirateurs – restent d’une richesse incroyable. Il touche du doigt, plus peut-être qu’à tout autre moment de sa carrière à la longévité inouïe (car toujours pertinente, en témoigne son avant-dernier single en date, Earth Beat), l’essence même de la philosophie mod : outre un look toujours parfait, il fait alors montre d’un esprit aventureux (alors qu’in fine, il sera resté très respectueux avec The Jam) qui lui vaudra d’amorcer ce qu’on baptisera plus le tard le r’n’b (l’album The Cost Of Loving), de marier The Modern Jazz Quartet, Debussy et Satie (l’album The Confessions Of A Pop Group – titre parfait au demeurant), d’être parmi les premiers en Grande-Bretagne (et ailleurs) à vouloir populariser la house music – sa reprise du génial Promised Land dès 1989, aussi maladroite soit-elle (c’est l’avis de certains), n’en reste pas moins une illustration probante.
Alors voilà : en vingt-six chansons, j’ai tenté de résumer les ambitions plurielles de ce groupe singulier, où l’on croise au gré des lubies de son leader, des obsessions soul, des reprises de chansons contemporaines (Love Pains, Promised Land), d’autres hits britanniques (Speak Like A Child, My Ever Changing Moods, Have You ever Had It Blue?…) et aussi le seul tube que Weller obtiendra en France (Shout To The Top! – qui fit entre autres fleurir sur les étalages des Puces de Clignancourt ces blousons avec une bande à damiers), des faces B d’une beauté déchirante (Ghosts Of Dachau), des prises de position politiques et sociétales sur fond d’arrangements à cordes (A Stone’s Thrown Away), des atmosphères un peu jazz, des ambiances un peu bossa, des mélodies qui accompagnent à merveille le printemps et l’été – oui, parce que pour moi, The Style Council reste plus que tout autre un groupe des beaux jours. Sans doute parce qu’il a signé l’un de mes morceaux préférés de tous les temps, un morceau dont le titre est Long Hot Summer.
Avis à l’amateur :
https://open.spotify.com/album/7jIdOYHGAraVFIZTsSQ2tD