Nombreux sont les artistes qui, après avoir réalisé un ou deux albums remarquables, ne tiennent pas la distance et, abandonnés par l’inspiration, perdent leur magie, tombant dans la banalité. Lael Neale semble avoir suivi le chemin inverse. Alors qu’en 2015, l’Américaine avait signé un premier disque pop-folk honnête mais trop conventionnel à mon goût, sa rencontre avec le producteur Guy Blakeslee, six ans plus tard, avait été salvatrice. De cette première collaboration était né l’album Acquainted with Night, signé chez Sub Pop, disque dont la texture sonore et les arrangements avaient donné à la musique de la Californienne d’adoption une identité esthétique nettement plus intéressante.Par chance, on retrouve cette belle alchimie sur son dernier opus Star Eaters Delight, composé cette fois-ci par Lael Neale dans sa Virginie natale, et toujours admirablement produit par Blakeslee. Enregistré entièrement sur magnétophone analogique, le disque assume complètement ses imperfections. Le souffle, l’absence de retouches, l’authenticité brute, créent une atmosphère sonore au charme onirique, sublimée par une très belle réverbération sur la voix qui donne à l’auditeur l’impression troublante que ce disque vient d’un autre monde.
Côté composition, on se réjouit que la chanteuse se soit encore plus résolument affranchie du classicisme folk de ses débuts pour explorer de nouveaux horizons. Ainsi, avec I Am the River, l’album débute par un titre dépouillé, basé sur un mantra vocal hypnotique, une nappe minimaliste d’omnichord et un tempo réalisé sur boîte à rythmes vintage, rappelant Electrelane, ambiance qu’on retrouvera plus loin sur un titre presque cold wave comme Faster than Medecine. Dans une veine différente, avec In Verona, on croirait cette fois entendre Lauren Hoffman, d’ailleurs elle aussi native de Virginie et partageant le même goût pour les atmosphères joliment spleenétiques. Must Be Tears, dont le très beau clip – entièrement réalisé par la chanteuse – rend hommage aux comédies musicales des Jacques Demy, séduit immédiatement par sa belle étrangeté, la subtilité de ses arrangements et cette voix qui semble osciller bizarrement entre gaieté et mélancolie.
Avec No Holds Barred, Lael Neal nous offre un de ses meilleurs titres, qui touche par sa simplicité, sa mélodie délicate, son texte à fendre le cœur et ses arpèges célestes. J’avoue – et c’est le seul bémol que j’aurais à ajouter – être moins réceptif aux chansons s’engageant du côté de l’univers de Lana Del Rey que je trouve moins originales, plus ordinaires, mais il reste indéniable que cet album comptera parmi les plus dignes d’attention de l’année 2023. Avec sa couleur si particulière, ce disque nous envoie bien ce « rayon spécial » propre aux artistes vraiment singuliers dont parle Proust dans Le Temps retrouvé.
Merci beaucoup pour ce bien bel article. Si je suis moins convaincu, en tant que grand fan de son « Megiddo », par la référence à Lauren Hoffman, il est tout à fait juste de mentionner que « No Holds Barrel » est un des sommets du disque. Chanson qui m’évoque, quelque part entre la reverb et les trémolos fragiles de la voix, la Paula Frazer des magnifiques Tarnation.