Il est tellement facile de trouver des accroches, de façonner des légendes à coup de punchlines, de monter des anecdotes en épingle pour trouver l’angle idéal et tenter de construire un mythe qui durera le temps qu’il faudra avant de passer à un autre. Archy Marshall est certainement le candidat idéal pour cet exercice, la figure du rebelle idéale telle que le rock anglais aime tant en produire. Avec autant d’anecdotes qu’il en faut sur sa jeunesse brûlée, son quartier populaire, sa poésie brute et son génie ultra précoce. Vous les lirez sans doute partout. Mais a-t-il vraiment envie de brandir l’étendard d’une génération désabusée ? Certainement pas, même si The Ooz porte en lui tout le spleen et la rage d’un mec de 23 ans ayant déjà vécu un certain nombre d’expériences. Observateur en oblique d’un temps déliquescent, il documente, disserte. Compose. Témoigne de l’absurdité de la vie en musique. Pour cela, pas de schéma préétabli, aucun formatage, mais une magnifique liberté de style. Dès qu’il en ressent le besoin, Marshall adapte son propos à une autre forme musicale. Syncope et flow, d’entrée de jeu ? Ce n’est pas la norme, et s’il l’envie se présente, il jettera son malaise en pâture aux guitares, laissant dériver sa complainte éraillée jusqu’au plus viscéral des cris. A l’instar de sa musique, la voix de Krule mute régulièrement, jusqu’à parfois atteindre une douceur insoupçonnée, pour en prendre le contre-pied le titre d’après. Qu’il s’agisse d’un blues primal, d’un free jazz totalement laidback ou même d’une no wave binaire, The Ooz navigue entre désenchantement et déchirement, et sait en épouser les formes les plus incertaines. Avec ce sentiment de proximité, où l’on écouterait un type tourmenté improviser sur ses états d’âme. D’amour déchu en déceptions sur le genre humain, jusqu’à un certain laisser aller narcotique, toujours avec cette forme de spleen plus ou moins à vif oscillant entre tension et lâcher prise. Versatile et sinueux, ce chemin emprunté par King Krule est aussi tourmenté qu’éprouvant, dans le meilleur sens du terme. Dix-neuf titres dont on ne ressort pas indemne, emporté dans cette émotion brute qu’il charrie à travers ses compositions déliées, libres et poignantes. Il est tellement facile de crier au génie, de couronner bien trop tôt le roi d’un règne éphémère. Et pourtant, King Krule est de ceux-là, et bien plus encore. Un diamant noir qui n’a pas fini d’éclore et qui a pourtant déjà tant accompli.
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