Dès les premières notes de Screen memories, quatrième album de John Maus, le synthétiseur analogique prend une fois encore toute sa place, et ce n’est pas anodin. Crée de toutes pièces par Maus, de la gravure du circuit à l’assemblage des pièces, il définit en grande partie son esthétique. Pour l’ancien clavier d’Animal Collective ou Panda Bear, et proche d’Ariel Pink avec qui il a longtemps collaboré, les sonorités de ces instruments hâtivement estampillées eighties vont plutôt chercher les bases de leurs harmonies au milieu de la renaissance, dans certaines pièces de musique médiévale qu’il a longtemps étudiées. On retrouve évidemment cet aspect dans la musique de Maus, et c’est justement ce qui la rend aussi singulière. Loin de la classer trop vite dans cette catégorie retro qu’il trouve lui-même atrocement réductrice, ses chansons sont traversées par une forme de souffle chevaleresque qui leur donne cette touche ample aux confins du psychédélisme, et aux rythmiques tranchées, qui se rapprochent quant à elles plutôt des expérimentations post punk. S’il fallait trouver une filiation, ce serait certainement du côté des Stranglers, mais Maus affirme plutôt sa passion pour les obscures productions synth italiennes et les musiques de films barrées, le titre de son disque en est d’ailleurs l’évidence la plus frappante. Le décor épique où Maus a travaillé a tout autant défini le climat général du disque. Six ans auront été nécessaires à la gestation de Screen Memories, composé, enregistré et produit chez lui, à Funny Farm, sa demeure perdue au milieu des champs de maïs du Midwest, entre grands espaces et hivers rudes. Si l’album se pose en digne successeur à We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves (2011), où Maus habitait déjà ses compositions de sa voix gutturale souvent amplifiée d’un écho, ses nouvelles créations vont plus loin encore, notamment à travers une production beaucoup plus soignée, ce qui explique probablement le temps interminable qu’il a passé sur ce disque. The Combine et ses lyrics apocalyptiques, où cloches, cuivres, chœurs rajoutent d’entrée de jeu une touche de lyrisme baroque, sont l’introduction brillante à un disque étrangement hors du temps. Sur ses paroles cryptiques au pessimisme laconique (celles du très beau Wall Of Silence tiennent en deux lignes), Maus dissémine ses guitares saturées (Find Out) et ses claviers grandiloquents (Pets) avec le vrai génie d’un weirdo complètement décalé. Et touche parfois au sublime, comme avec Sensitive Recollections, à la douceur presque sacrée. I Am The Phantom Over The Battlefield, comme il le clame lui-même dans son titre éponyme. C’est peut-être tout John Maus en une phrase finalement, le constat désabusé du musicien diplômé d’un doctorat en philosophie politique qui se désarticule frénétiquement sur scène au son d’une lo-fi synthétique baroque et hallucinée.
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