L’internet gentiment utopiste et DIY des débuts a laissé sa place aux écoles de commerce. La presse culturelle numérique en a évidemment souffert, mais il reste toujours quelques grappes de résistances, notamment en France (saluons nos collègues de Novorama, Soul Kitchen, Les Oreilles Curieuses, Benzine, Pop News, Pop is on Fire, Foutraque, etc). Il y a des disques qui donnent envie de se battre pour les faire découvrir aux autres, tant ils semblent à nos yeux importants et bons, et se confondre avec les fréquences de battement de notre époque.
La musique est un pansement de l’âme. Les poseurs trouveront ça niais, les autres comprendront. Like a Baby de Jerry Paper, nouvel album de l’intéressé (difficile de les compter) a ainsi marqué ma fin d’année 2018. Le disque s’est immiscé dans mon quotidien au point d’en constituer un instantané. D’autres que moi ont été touchés : son concert parisien est complet. Jerry Paper a un charme étrange, à la fois élégant et complètement loufoque. Il est capable d’une forme de douceur, d’arrangements ambitieux et soignés tout en gardant un truc bancal et pas trop confortable dans ses chaussons. Les chansons sont excellentes, elles swinguent agréablement, ne se donnant pas totalement, et en gardant toujours un peu de leur étrangeté. Les clips sont un bon indicateur de l’univers bizarre de Jerry Paper mais ils doivent pas non plus vous en éloigner tant sa musique se suffit à elle même par sa délicatesse et sa richesse. Nous lui trouverons bien sûr quelques cousinages: Mild High Club (qui contribue à l’album), Mac DeMarco ou Katerine. La comparaison avec ce dernier est peut-être la plus évidente de toutes, tant le Français et l’Américain partagent un goût pour une forme de fausse ironie/vraie sincérité. L’un et l’autre prêchent alors le faux en quête de sentiments authentiques et d’une forme d’innocence. Ils ont également cette capacité à rendre cool et électrisantes des influences presque ringardes. Jerry Paper se rêve en crooner – peut-on trouver plus cave que ça ? – son timbre chaud et enveloppant s’y prêtant très bien, mais ce dernier y met un twist de folie, loin de la fin de carrière à Atlantic City. La production de ce disque est tout aussi captivante. Chaude, classique sans être barbante, avec son mélange de guitare acoustique et synthétiseurs analogiques, elle est l’écrin rêvé pour les treize compositions de l’intéressé. L’album s’apprécie d’une traite mais quelques morceaux en constituent des pièces de choix. L’enchaînement Your Cocoon et Grey Area constitue le premier grand moment du disque : un tube suivi d’une incursion bossa des plus rafraîchissantes. Situé en milieu de parcours, la paire Your God et Baby forme le second sommet de ce très joli disque. Les arrangements de cuivre de la première sont irrésistibles et nous ne pouvons qu’en regretter la courte durée. Baby, pour sa part, aurait de quoi étonner. Un rythme reggae se frotte à une basse synthétique. Jerry Paper transforme l’exercice en une des meilleures chansons de l’album, un groove séditieux et hypnotisant nous plonge dans le coton. Merci Stones Throw (Madlib, Stimulator Jones, Aloe Blacc) d’avoir sorti Like a Baby, espérons que ses adeptes continueront de le faire découvrir et que le bouche à oreille fera grandir son public. En tout cas, s’il existe un peu encore de l’utopie internet des débuts parions sur ce petit espoir…