Quand on a la chance de partir, l’été est souvent ce moment où l’on délaisse, malgré nous, nos habitudes musicales. On se retrouve à écouter la musique des endroits où l’on va et la musique des autres, surtout. Elle devient un fond sonore, quand elle n’est pas carrément subie. J’ai des souvenirs, ado, en vacances en famille et sans portable, du soulagement physique ressenti lorsqu’une chanson que j’aimais passait enfin à la radio. C’est l’effet que m’a fait Disaster Trick, le cinquième album de Horse Jumper of Love paru à la mi-août.
Cet album, c’est le sentiment de rentrer chez soi à la fin de l’été ; de retrouver son confort, de remettre ses habits de ville, ceux dans lesquels on se ressemble. Cela commence dès les premières secondes du premier titre, Snow Angel. Deux accords répétés à l’acoustique, puis un mur de guitares saturées (jouées avec MJ Lenderman) ; là, le chant posé de Dimitri Giannopoulos et les échos lointains d’une voix féminine – il n’en faut pas plus pour convoquer tout le rock alternatif des nineties. On est en terrain connu : du shoegaze, mais en introduction seulement ; la musique des Bostoniens a toujours été caractérisée par sa lenteur, sa mélancolie, son chant très distinct, et cet album, comme son prédécesseur, confirme que c’est bien de slowcore dont il s’agit. On pense particulièrement à Duster dans le minimalisme et l’amertume de Word, histoire de conflit amoureux parlée-chantée, à Bedhead sur la plus mélodieuse Curtains.
On se souvient de Volcano, extrait du deuxième album So Divine : alors que rien ne l’annonçait, Giannopoulos se mettait sur le refrain à hurler à la manière de son icône de jeunesse, Kurt Cobain. Un titre érigé comme « tube » du groupe, représentatif – il était en ce sens bien nommé – du feu bouillonnant à l’intérieur de ces garçons d’apparence si réservés. Sur Disaster Trick, la dualité du calme et de la tempête persiste, mais la douceur l’emporte tout de même. Celle-ci s’explique peut-être par la récente sobriété du leader, qui décrit cet album comme le premier réalisé avec l’esprit clair, le premier entièrement réfléchi et intentionnel.
Moins de colère, y compris dans les paroles, où la poésie – comme souvent – émerge des scènes les plus mondaines (« I am late to work again / I’m always missing something when I walk out the door » – Gates of Heaven). Des réflexions sur le passé, écrites comme des lettres à d’anciennes amours et amitiés, pleines de références privées, inaccessibles quand elles ne touchent pas au simplement beau (« Would you pull me a feather from your pillow / I want to dream like you » – Snow Angel).
Sans vouloir multiplier les étiquettes il est difficile, devant ce groupe de mecs à guitares, intellos et sensibles tout droit sortis de la ville universitaire par excellence – Boston –, de ne pas penser au midwest emo, à des groupes comme American Football. Il y cette atmosphère si « américaine » – comment le dire autrement ? – chez Horse Jumper of Love, particulièrement sur des titres comme Wink – très Polvo dans les sonorités – ou Wait by the Stairs, dans ce qu’elles ont de malaisant, de dissonant.
Quelques éclats de lumière transpercent heureusement cet océan de spleen. D’abord, les voix des amies Karly Hartzman et Ella Williams, respectivement figures des groupes Wednesday et Squirrel Flower, en alternance sur la plupart des titres de l’album – Today’s Iconoclast s’illumine à l’entrée de Karly ; Lip Reader, chanté à deux-voix avec Ella, fait l’effet d’une étreinte. Ensuite, cette manière peu commune d’utiliser la guitare acoustique par-dessus l’électrique, comme pour créer du relief. Autant d’éléments en hauteur auxquels se raccrocher pour remonter à la surface, mais aussi des titres intrinsèquement lumineux, judicieusement placés en fin d’album, Gates of Heaven et Nude Descending, comme pour nous faire croire que tout cela n’était en fait pas si grave.