Du diptyque A I A en 2011 jusqu’aux siamois Dragging A Dead Deer Up A Hill et The Man Who Died In His Boat, la discographie de Grouper semble peuplée de disques jumeaux et de doubles fantomatiques qui se seraient perdus dans les ténèbres. Ils se confondent, se répondent et se dissolvent pour ne former qu’un seul et unique sentiment flou et tendre. Un rayon parfait, droit et infini, fruit d’un songwriting dont les multiples humeurs en miroir ne font que mettre en lumière son inaltérable constance et sa désarmante pureté mélodique.
C’est donc dans un cocon de douce familiarité que l’on retrouve Liz Harris avec Grid of Points, qui reprend et poursuit le format piano-voix déjà à l’œuvre dans son précédent long format Ruins en 2014, étirant à nouveau de pales accords à fleur de peau dans l’écho vague d’une pédale d’expression jamais relâchée. Un hoquet pourtant trompeur, car Grid of Points abandonne les tâtonnements granuleux et chauds de son prédécesseur pour laisser place à un climat plus éthéré et funeste, assez proche finalement des précédents essais de Grouper, hanté à nouveau de somptueux nuages de chœurs cristallins, comme ceux qui nous accueillent sur l’introductif The Races. Et pourtant, c’est avec un émerveillement inédit que l’on assiste à la pale diffraction de la voix de Liz Harris, si proche, si lointaine, se délestant des syllabes pour venir se perdre au milieu des notes de piano suspendues dans une confusion sereine. Une union aussi opaque que glorieuse qui s’étire d’un bout à l’autre de cette collection de moments suspendus, qu’ils glacent (tragique Birthday Song) ou rincent l’âme (Driving). Enregistré en une dizaine de jours, Grid of Points se tait au bout de 20 petites minutes seulement. Tout est là pourtant. Complet. Pas besoin de plus pour effacer tout le reste. Un univers entier à explorer dans une tête d’épingle.