L’œuvre de François de Roubaix (1939-1975) fait désormais partie des figures consacrées par toute une constellation de musiciens et artistes contemporains, au même titre que celle de Jean-Jacques Perrey, par exemple. A l’écart ou dans les marges de l’avant grade « officielle » et de son ambition radicalement moderniste, certains pionniers et expérimentateurs ont en effet pu façonner dès les années 1960/1970 les coordonnées esthétiques d’une pratique de l’électronique désormais omniprésente. En s’attachant à croiser formes « savantes » ‒ du côté des recherches électro-acoustiques liées à un axe Schaeffer / Henry notamment ‒ et langages pop, c’est bien, entre autres, à la musique instrumentale (de film et d’illustration pour l’essentiel ) qu’il est revenu d’assumer un rôle matriciel pour la production musicale actuelle. Que l’on pense à toute une filiation rétro-futuriste, hypnagogique / hantologique, ou encore à nombre d’autres items associés à la scène électro/hip-hop au sens large, un usage dans le même temps référencé et libre de cet héritage s’est imposé de manière incontournable. Héritage au sein duquel le travail de François de Roubaix occupe comme nous l’avons indiqué une position centrale. Ceci en ce qu’il, après avoir marqué le cinéma populaire français des années 60-70 (Le Samouraï, Dernier domicile connu) ainsi que le générique de télévision ou le jingle (Chapi Chapo, Á vous de jouer Milord), s’est révélé être l’un des médiums majeurs de la citation pop ‒ de KRS-One à Missy Eliott, en passant par Carl Craig ou Luke Vibert.
Saluons dès lors l’initiative de l’impeccable label Transversales (fondé par Jonathan Fitoussi et Sébastien Rosat) que d’éditer deux BOF inédites sous format LP : Le Saut de l’Ange (Yves Boisset, 1971) et R.A.S (idem, 1973), qui convoquent deux des principaux aspects de son approche de la composition et de la production musicale. L’ampleur et la sophistication de l’orchestration avec Le Saut de l’Ange d’un côté, une pratique iconoclaste pour l’époque du home-studio avec R.A.S de l’autre (enregistré rue de Courcelles sur un magnéto 8 pistes). Aussi, rien d’étonnant à ce que le label de Fitoussi / Rosat se soit décidé à les accueillir au sein de son catalogue, spécialisé dans la redécouverte d’enregistrements rares ou perdus occupant précisément cette zone incernable et passionnante de l’expérimentation libérée d’un certain dogmatisme avant-gardiste. Ce qui concerne tout particulièrement la bande originale de film ‒ comme peuvent en témoigner dans ce catalogue Rock de Bernard Parmegiani ou Romance & Drama d’Alessandro Alessandroni par exemple ‒ et que nous pouvons trouver exprimé ici de manière emblématique. Tout concourt en effet dans les deux BOF composées par De Roubaix à mobiliser ce que nous avons pu décrire comme une logique d’hybridation d’univers sonores a priori hétérogènes, qui constitue la grammaire esthétique d’une pratique musicale visionnaire. De l’effet d’étrangeté porté par un art singulier de l’arrangement, l’association d’une cithare indienne et d’une orchestration plus traditionnelle dans Le Saut de l’Ange, aux élaborations futuristes et proto-industrielles de R.A.S (l’utilisation d’un synthé AKS, impressionnante), nous pouvons retrouver ce qui caractérise une démarche autorisant a posteriori sa réutilisation et recodification comme matériau citationnel. D’où le caractère indispensable de ce disque, pour qui souhaite approfondir cet aspect crucial du syntagme pop. Mais aussi, et ce n’est bien entendu pas la moindre de ses qualités, pour qui cherche à redécouvrir le génie mélodique et la modernité des productions de François de Roubaix.