Difficile d’échapper aux chiffres quand il s’agit de R. Stevie Moore. Cinquante années d’enregistrements, quatre cents albums, des centaines de vidéos. Des chiffres et des nombres hors normes, fruits du travail d’un passionné toujours resté à la marge. Surtout, il est dommage qu’il n’existe pas d’unité de mesure de la liberté et de l’honnêteté, car ce sont les domaines d’excellence de R. Stevie. C’est justement de ce double mérite que le film de Monika Baran et Imogen Putler, Cool Daddio : The Second Youth of R. Stevie Moore, tente de témoigner.
Dans ce documentaire qui constitue une bonne introduction au « parrain du home recording », les témoignages sont laudatifs et unanimes : R. Stevie Moore selon Jason Falkner, R. Stevie Moore selon Mac Demarco, R. Stevie Moore selon Mike Watt, R. Stevie selon Tim Burgess, R. Stevie Moore selon Theophilus London… Tous n’ont de cesse de vanter de façon parfois redondante l’intarissable source d’inspiration de la discographie de Stevie, de ses méthodes d’enregistrement artisanal à l’originalité de son écriture. Bref, R. Stevie Moore est un génie, et le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas nouveau : cette répétition par une dizaine d’intervenants aussi prestigieux soient-ils donne parfois la fâcheuse impression d’une hagiographie typique du tout-venant des productions de documentaires musicaux.
Néanmoins, on comprend vite que la seconde jeunesse de R. Stevie Moore est avant tout incarnée par ses héritiers – dont le fidèle Ariel Pink qui a les phrases les plus justes et définitives au sujet de son mentor et ami. Le documentaire est aussi parsemé d’une sélection des innombrables vidéos d’archives tournées au caméscope par R. Stevie lui-même (la mine d’or de ses clips et saynètes intimes), de ses apparitions au Uncle Floyd Show, d’extraits de live et d’émouvants films d’enfance où l’on voir le jeune Moore jouer avec son père Bob, le célèbre bassiste d’Elvis Presley. On connaissait le poids de cette figure écrasante et colérique sur son fils, on se doutait que ce dernier s’était construit en opposition en opposition au père, même artistiquement. Malgré tout, un pincement au cœur survient quand on écoute le garçon devenu vieux évoquer avec des regrets mêlés d’une tendresse résignée son enfance et ses échecs. On pourra aussi regretter que l’humour, le sens de l’autodérision et le côté fantasque de R. Stevie Moore soient trop peu évoqués au long de ces 80 minutes très biographiques et psychologiques (l’éternelle figure de l’artiste maudit refusant le succès) – mais comment arriver à dresser le portrait d’un artiste qui se définit comme « improvisateur, compositeur, arrangeur, producteur, conceptualiste musical, auteur de comédie, styliste vocal, réalisateur, artiste Sketchpad, figure dramatique, instrumentaliste autodidacte et bon vivant. » Sur scène, c’est un OVNI, construisant un nouveau spectacle à chaque fois, dont on ne sait ce qu’il sera – mais le sait-il lui-même ?! En pyjama, en peignoir, la barbe teinte en bleu ou rose, en chemise à fleurs, en short, téléphonant dans une bouteille d’eau, se roulant par terre, partant dans des impros, imprévisible, fantasque, il est toujours brillant. Et après ce film, on a juste très envie de serrer très fort Papy dans nos bras en l’assurant de toute notre amitié et de notre éternelle admiration.
Cool Daddio, The Second Youth of R. Stevie Moore de Monika Baran et Imogen Putler (UK, 78 min. – 2019) est projeté en compétition du festival FAME, samedi 15 février à 19h15 à la Gaîté Lyrique à Paris.
(Check le joli poster de David Shirgley, ndlr)
+ BONUS / R. Stevie Moore en quelques mots-clés par Chan Masson
SECONDE VIE
Non, désolé, c’est la nouvelle idée fausse. Les temps changent. Le titre trompeur du film provient d’une réflexion à propos d’une nouvelle vie, faite pendant ma tournée à Berlin en 2012. Maintenant, huit ans plus tard, je suis en retraite. Parce que ce qui semblait un genre de « seconde jeunesse » à l’époque est devenu un arrêt causé par de gros problème de santé dus à l’âge et qui empêchent de voyager. Je suis épuisé aussi. Ma tâche est accomplie, j’ai fait de la musique pendant 50 ans.
DIY
Ça a toujours été purement un « home hobby » ; au début j’enregistrais sur deux magnétophones à bandes du commerce, sautant d’avant en arrière pour fabriquer de nombreux overdubs. Le problème étant que les bruits de fond et les grésillements de la bande étaient réenregistrés avec la musique, de façon exagérée sur le mix final. Je « n’essaie » pas d’être lo-fi ; c’est juste comme ça. Selon les autres.
TOURNÉES
Pas de classement bons ou mauvais souvenirs, désolé. C’était le ying et le yang, prends le bon avec le mauvais. Et je me rappelle de tout pendant les tournées. Je n’ai jamais eu de préférences… S’il y avait des concerts sortant du lot, ce serait Roskilde Festival, Mexico et Moscou, Russie.
BOB MOORE
Papa faisait partie de groupes, il accompagnait des chanteurs de musique country plutôt standard. J’étais un beatnik hippie qui voulait absolument foncer tête baissée dans les expérimentations les plus folles et tenter tous les styles. L’exact opposé.
MENTOR
C’est moi, je suppose. En quelque sorte…
PHOTOS : Chan Masson, of course !
+ BONUS / Playlist R. Stevie Moore
Une playlist que l’on vous conseille de lire sur YouTube, étant donnée l’absence de l’œuvre de R. Stevie Moore sur la majeure partie des plateformes de streaming…
R. Stevie Moore est un stakhanoviste , c’est un immense artiste ,j’ai beaucoup aimé ce documentaire ,cependant je regrette que vous ne parliez pas d’un autre documentaire (MY FRIEND FELA by Joel Zito Araújo in 2019) diffusé le même jour que cool daddio. Parmis les 26 pigistes qui constituent la team de section 26 ,il ne s’en ai pas trouvé un qui soit fan de fela ransome anikulapo kuti???? https://perseverancevinylique.wordpress.com/2020/02/18/les-films-de-ma-vie-vol-27-my-friend-fela-by-joel-zito-araujo-in-2019/