« Hi. I’m the lost record… »
Je suis vilain, crasseux, revêche et agressif. Je suis le fidèle témoin d’une vieille tradition de disques auréolés de sperme, de sueur et sang. Ceux qui prétendent me résumer au fruit de l’imagination de Ian Svenonius ne comprendront rien à ce qui m’anime. Il ne faudrait pas que mon génial inventeur joue les imposteurs et me fasse de l’ombre… Je sais feuler, mais je sais aussi griffer et mordre. Au siècle dernier, avec The Make-Up, le chanteur qui me prête sa voix était – entre beaucoup d’autres disques et d’ouvrages sur la culture populaire – l’auteur d’I Want Some, le disque du « dernier groupe majeur » selon Christophe Basterra. Avouez que ce n’est pas aisé de se faire un nom lorsque l’on est la nouvelle (re)création du Victor Frankenstein de la musique pop. Peu importe, je suis sûr de ma fiction ; et d’un point de vue conceptuel, je suis déjà un chef-d’œuvre. En tant que mythe moderne aussi vénéré qu’éculé, malmené que choyé, j’estime avoir enfin le droit au chapitre, de me faire justice… Mon histoire commence avec ma résurrection. J’étais presque mort, condamné au mépris dans une cave et collé à des disques pourris dans un bac de drouilles à un dollar. Moi qui avais côtoyé Suicide (The Lost Record), T.Rex (What Sign (Was Frankenstein?)), The Cramps (Exorcist Stairs) et The Stooges (Rome Wasn’t Burnt In A Day) de tellement près qu’ils m’ont marqué au plus profond de mes stries, j’étais pris dans une boucle sans fin… Un type s’est pointé alors que je n’espérais plus rien. J’ai tout de suite compris que ce serait lui, qu’il était là pour moi : « Il a l’air aussi perdu que moi » ai-je pensé. Il était mon échappatoire, en somme. Je l’ai séduit et apprivoisé ; il m’a aimé et chéri. Je lui ai expliqué tout ce que je sais sur l’amour et la violence, le rock et la subversion ((I’m Gonna) Bite The Hand That Feeds). Je lui ai dit que ma colère ne lui était pas destinée et qu’il devait se soumettre à mon désir de revanche (Nothing Personal). Je lui ai appris que mon ennemi est cette industrie musicale qui a causé ma perte et celle de nombreux de mes semblables. Ensemble, nous nous sommes promis de la détruire. Puisqu’il n’était pas indifférent à ma sensualité, nous avons poursuivi une relation amoureuse et érotique (I’m A Lover (at Close Range), This Feeling’s Mutual). Je vous vois venir : vous pensez que c’est métaphorique. Vous n’étiez pas là quand il léchait la poussière et les moisissures accumulées dans mes sillons ! Et toutes ces fois où je l’ai supplié du plus profond de mon âme de faire ce qu’il voulait de mon corps (Bodysnatcher)… Un véritable rêve éveillé qui ressemble aux fantasmes adolescents qui m’ont donné naissance. Le désir, le délit, la dérobade … Tout cela dans le salon d’un petit appartement. Donner l’illusion et le désir de la liberté, n’est-ce pas la plus belle chose qu’un disque a à offrir ? J’imagine assez bien ce que l’auditeur de 2018 peut me reprocher même si je ne comprends plus grand’chose au monde qui m’entoure. D’abord, il y a le récurrent reproche du plagiat… Mais faut-il encore que vous soyez capables de différencier la copie d’une citation. Et puis, je suis un peu rêche, minimaliste, aride et parfois même sec comme un coup de trique. Apprenez donc que lorsqu’on a passé 40 ans dans un bac moisi, on n’a pas envie de s’étendre – ou peut-être seulement sur une feutrine. Bref, on choisit ses mots et on va à l’essentiel. Les minauderies, c’est bon pour la FM ! Pardonnez-moi, je réalise seulement qu’au lieu de faire mon autocritique, je dresse la vôtre. C’est de bonne guerre ! Après tout, ce n’est pas de ma faute si je suis mal-aimé… Stop ! Aujourd’hui, j’en suis certain : Svenonius en soit loué, je ne suis plus perdu pour tout le monde. Je suis (presque) un classique, bordel !